Critiques

Tame Impala

The Slow Rush

  • Interscope Records
  • 2020
  • 58 minutes
7,5

En 2015, le groupe australien Tame Impala avait pris un pari risqué en délaissant le rock psychédélique qui avait fait sa renommée pour embrasser le disco et le R&B sur son troisième opus Currents. Ce choix avait divisé les amateurs de la première heure, plusieurs étant déçus de voir les guitares reléguées à l’arrière-plan. Et The Slow Rush, qui s’avère plus pop encore, ne fera rien pour arranger les choses!

Réglons tout de suite une chose : Tame Impala n’est plus un groupe rock. Certes, les albums Innerspeaker (2010) et Lonerism (2012) les ont consacrés comme étant les dignes successeurs des Flaming Lips, mais Currents a prouvé que la formation n’avait rien à faire de ce titre. En fait, réglons aussi une autre chose : Tame Impala n’est pas un groupe non plus, mais essentiellement le véhicule créatif du multi-instrumentiste Kevin Parker, qui écrit et enregistre tout lui-même.

Personnellement, j’avais tout à fait embarqué dans le virage Currents, même si c’est un disque qui m’a déstabilisé au départ. Il n’est pas évident pour un artiste de faire ainsi table rase de son passé. Le problème pour Tame Impala, c’est que ce virage s’est effectué en faveur d’une approche plus pop, alors qu’on a tendance à glorifier l’inverse. Le contexte était sans doute défavorable aussi pour le groupe. Le rock étant en perte de vitesse, on s’était accrochés à Tame Impala comme étant les sauveurs du genre, d’où notre désarroi devant pareil changement de direction.

Cela dit, on ne peut pas accuser Parker de faire de la fausse représentation. Dans une entrevue avec Billboard le mois dernier, il a ouvertement clamé son désir d’écrire de la pop, allant même jusqu’à citer en exemple le producteur suédois Max Martin, qui a écrit de nombreux tubes pour Britney Spears et autres Backstreet Boys : « C’est le yin du yang du rock psychédélique – écrire une chanson pop sucrée et accrocheuse, qui dure trois minutes ». La pop de The Slow Rush n’a toutefois rien de générique et témoigne d’un désir d’expérimentation à la base de ce qu’est le psychédélisme, même s’il ne repose pas sur les guitares ou les riffs hallucinés. Parker parvient aussi à élaborer des chansons non conventionnelles malgré le contexte pop, comme sur l’excellente Posthumous Forgiveness, presque prog dans sa structure en trois sections, avec une longue coda qui semble sortie d’un autre univers. Sinon, les pièces sont souvent construites sur des boucles répétitives, ce qui permet à Parker d’éviter le piège des refrains convenus qu’on voit venir une heure à l’avance.

Ce qui frappe aussi à l’écoute de The Slow Rush, c’est l’étendue des références, un peu comme si Parker avait assimilé un cours d’histoire de la musique populaire en accéléré. Il y a des échos de house et de musique électronique des années 90 sur One More Year, un peu de Supertramp sur Instant Destiny, du Michael Jackson sur Lost in Yesterday, du folk hippie à la Donovan combiné à du Sublime sur l’étrange, mais néanmoins réussie Tomorrow’s Dust. L’album se conclut sur l’épique One More Hour, dont le riff rappelle le rock d’aréna à la Toto ou Foreigner.

Ça semble touffu et ça l’est, mais l’exploit de Parker est d’arriver à créer un tout cohérent avec un tel amalgame de styles. Bien sûr, il y a des moments où l’Australien s’égare un peu. Borderline verse un peu trop dans le pastiche disco, tandis que Glimmer a l’air sortie tout droit d’une playlist du Beachclub de Pointe-Calumet. Et les effets synthétiques sur les voix sont parfois un brin trop appuyés.

Il ne faut pas se méprendre sur les intentions de Tame Impala : voilà un album conçu expressément pour les scènes de grands festivals. Si vous n’avez pas aimé Currents, inutile d’ajouter The Slow Rush à votre liste d’écoute. Mais force est d’admettre qu’il est plutôt rafraîchissant de voir qu’une pop, même consensuelle, peut encore servir de moyen pour expérimenter avec la forme chanson et les sonorités.