Critiques

Spiritualized

Everything Was Beautiful

  • Fat Possum
  • 2022
  • 44 minutes
7,5

Chaque parution dispensée par Jason Pierce est toujours un gage de qualité. Aujourd’hui, le talentueux compositeur et arrangeur, âgé de 56 ans, n’a plus envie de réinventer Spiritualized, tout simplement parce qu’il n’en a pas besoin. Il a passé les quinze dernières années à perfectionner un son qui lui est distinctif.

En 2018, avec la parution de And Nothing Hurt, on avait obtenu la confirmation que le mélancolique auteur-compositeur laissait en plan pour de bon le space rock qui avait caractérisé les premières parutions de Spriritualized au profit d’ambitions orchestrales pleinement assumées. Pierce déclarait alors qu’il s’agissait probablement de son dernier album en carrière. Or, ceux qui sont bien au fait de l’instabilité émotive du musicien n’ont pas été surpris de le voir de retour cette année avec un nouveau long format intitulé Everything Was Beautiful.

Cette fois-ci, les intentions de Pierce sont claires : créer l’album orchestral ultime ! Le musicien a joué de seize instruments et a enregistré dans onze studios différents, en plus de celui aménagé dans son domicile. Il a également fait appel à 30 musiciens et chanteurs, dont sa fille Poppy et son habituel collaborateur John Coxon. Lors de l’écoute d’Everything Was Beautiful, ceux qui connaissent bien Spiritualized ne seront pas surpris d’y entendre un florilège de cordes, de cuivres, de chœurs et de claviers. Mais Pierce a eu la grande intelligence d’enregistrer plusieurs pistes de l’album en direct en studio, conférant ainsi une urgence, et paradoxalement une certaine modestie, à toutes ces pièces.

C’est l’isolement obligatoire provoqué par la pandémie de Covid-19 qui a inspiré Pierce; une solitude que le principal intéressé a bien sûr apprivoisée et appréciée, semble-t-il. N’ayant pas d’échéancier commercial à respecter et possédant d’excellents leviers financiers, il a pu retoucher inlassablement ses nouvelles chansons afin d’en tirer le maximum d’émotions. Toute cette mixture coutumière de gospel, de proto rock à la Stooges et d’orchestrations luxuriantes, magnifiées par la traditionnelle fragilité vocale de Pierce, fonctionne encore bien.

Parmi les meilleurs moments de ce Everything Was Beautiful, on note l’excellente Best Thing You Ever Had (The D Song) qui aurait très bien pu paraître sur le classique Ladies and Gentlemen, We Are Floating in Space (1997). The A Song (Laid in Your Arms) est une chanson qu’aurait assurément aimé écrire Jace Lasek, le meneur de la formation montréalaise The Besnard Lakes. Impossible de demeurer de marbre à l’écoute de la voix émouvante de Pierce dans la conclusive I’m Coming Home Again, pièce qui nous rappelle avec justesse que l’homme a failli rendre l’âme, deux fois plutôt qu’une, au début des années 2000. Les influences country entendues dans Crazy constituent un clin d’œil subtil à l’un des mentors de Pierce : le légendaire Tom Waits. The Mainline Song est une véritable locomotive musicale, l’une de rares chansons de la discographie de Spiritualized que l’on pourrait qualifier « d’optimiste ».

Sans atteindre les hauts standards du classique mentionné au paragraphe précédent, Everything Was Beautiful est un disque élégant, émouvant et qui, pour une énième fois, prouve que Jason Pierce est l’un des plus grands musiciens et compositeurs britanniques de sa génération. Une création intemporelle comme tous les disques de Spiritualized.