Soccer Mommy, de son vrai nom Sophie Allison, en est déjà à un troisième album en cinq ans. Ses deux premières parutions lui ont permis de se frayer une place de choix dans le milieu indie avec son rock introspectif inspiré des années 90. Sur Sometimes, Forever, elle étonne en faisant équipe avec le réalisateur Daniel Lopatin (Oneohtrix Point Never), ce qui donne un autre relief à ses complaintes intimistes.

Soccer Mommy est arrivée sur la scène au moment où le rock alternatif au féminin était en pleine renaissance. Elle a quand même réussi à imposer un style qui lui est propre, même si elle n’a pas pu échapper aux comparaisons avec les Phoebe Bridgers, Snail Mail, Lucy Dacus et autres Julien Baker. En ce sens, sa décision de faire appel à Lopatin pour réaliser son troisième album peut être perçue comme un certain désir de s’éloigner d’un créneau qui semble s’approcher du point de saturation.

Lopatin est évidemment connu pour ses expérimentations électroniques, que ce soit sous son pseudonyme d’Oneohtrix Point Never ou pour son travail à la réalisation avec The Weeknd, FKA Twigs ou Rosalía. Sa touche permet d’enrober les chansons de Sophie Allison d’un vernis un peu plus exploratoire sans non plus diluer l’essence des compositions. Le résultat surprend par moments, comme dans Unholy Affliction, avec son introduction qui grince de partout, mais en général, la production demeure au service de la musique et ne prend jamais le dessus sur les mélodies.

Si Soccer Mommy s’est d’abord fait connaître pour son approche lo-fi, Sometimes, Forever démontre un souhait évident pour des arrangements plus élaborés, avec des couches instrumentales qui se superposent les unes aux autres pour donner parfois l’impression d’un mur de son. Le résultat s’entend dès l’intense Bones en ouverture, qui démarre comme une ballade plutôt classique pour s’achever en une explosion de guitares électriques. Il s’agit peut-être du titre le plus lourd jusqu’ici dans le répertoire d’Allison, mais ça fonctionne bien avec son style et son type d’énergie.

Sometimes, Forever est également l’album le plus varié de Soccer Mommy, avec des textures qui évoluent au gré des chansons. Si des titres comme newdemo et Still se situent dans la lignée des albums Clean (2018) et color theory (2020), Shotgun est ouvertement plus pop, tandis que Darkness Forever est une ballade sombre tapissée d’effets électroniques, dont la rythmique trip-hop évoque Portishead. On sent aussi une forte influence shoegaze sur une chanson telle que Don’t Ask Me.

Sur le plan des textes, Allison continue d’explorer les coins les plus complexes de l’âme humaine. Elle s’intéresse notamment au double pouvoir de l’amour, celui capable de séduire et de blesser, comme dans la mystérieuse With U : « Your crystal eyes cut deep like a knife / And they’re teaching me how to bleed ». Ailleurs, elle se questionne sur la célébrité, et le poids des attentes pour une artiste : « I’m barely a person / Mechanically working », évoque-t-elle sur Unholy Affliction.

J’ai été le premier surpris lorsque Soccer Mommy a annoncé qu’elle allait collaborer avec Daniel Lopatin pour Sometimes, Forever. Ce choix aurait pu s’avérer mal avisé s’il n’avait servi qu’à enrober les chansons de Sophie Allison d’effets électroniques rétrofuturistes simplement pour le plaisir de la chose. Mais quand on y pense bien, il y a toujours eu chez la musicienne de Nashville un désir d’exploration sonore, qu’il s’agisse des guitares qui se détraquent abruptement dans Cool (sur l’album Clean) ou encore de l’utilisation d’échantillonnage sur le précédent color theory.

Au final, Soccer Mommy relève le défi d’arriver à transcender son étiquette de chanteuse triste sans pour autant renier ce qui a fait sa marque. Les influences (Liz Phair, Avril Lavigne) demeurent présentes, mais Sometimes, Forever va bien au-delà du son des années 90 pour proposer quelque chose de plus intemporel.