Critiques

Sarah Neufeld

Detritus

  • Paper Bag Records
  • 2021
  • 43 minutes
7,5

Membre du Bell Orchestre et fidèle collaboratrice d’Arcade Fire, la violoniste Sarah Neufeld trouve aussi le temps de mener une brillante carrière solo, où elle explore une musique volontairement plus minimaliste. Elle lançait récemment Detritus, son troisième album depuis 2013, sur lequel sa virtuosité est encore davantage mise de l’avant, et qui navigue habilement entre le post-rock et le néo-classique.

Detritus nous arrive cinq ans après l’excellent The Ridge, qui faisait le pari d’une musique un peu moins exploratoire que sur le précédent Hero Brother (2013), avec même une utilisation accrue de la voix pour donner un côté davantage « chanson » à ses compositions. On y retrouvait même une instrumentation de type pop de chambre sur certains titres, et qui rappelait son travail au sein du Bell Orchestre.

Il y a encore du chant sur Detritus, mais il sert à conférer de la texture aux pièces de Neufeld, dont la voix aérienne plane au-dessus des arpèges de violon, surtout en première moitié de disque, qui se veut plus méditative, tandis que la deuxième moitié explore un côté plus post-rock, grâce entre autres à la contribution du batteur Jeremy Gara (Arcade Fire) et d’une petite section de vents formée de Pietro Amato (Bell Orchestre) au cor français et de Stuart Bogie à la flûte et au saxophone.

L’idée de départ de Detritus est née d’une rencontre entre Neufeld et la chorégraphe et danseuse Peggy Baker. Après une première collaboration en 2015, les deux artistes ont créé ensemble le spectacle who we are in the dark, pour lequel la troupe de Baker était accompagnée sur scène par Neufeld au violon et Jeremy Gara à la batterie. Les sept pièces de Detritus sont donc nées des improvisations créées pour le spectacle, et même si elles ont été réarrangées, elles conservent cette idée d’une musique conçue pour accompagner le mouvement des corps, à la fois ondoyante dans ses structures rythmiques répétitives et avec une amplitude dans les mélodies qui semble elle aussi refléter le type d’extensions qu’on peut imaginer de la part de danseurs.

L’album s’ouvre d’une brillante façon avec la magnifique Stories, construite sur une succession d’accords qui se transforment tranquillement, permettant au violon et à la voix de Neufeld de se mouvoir avec grâce au-dessus des harmonies. Le ton se veut délicat et apaisant jusqu’à ce que les accords s’obscurcissent au bout de cinq minutes, donnant cette impression d’un ciel qui s’ennuage soudainement. La transition avec la suivante Unreflected est si bien exécutée qu’on a presque le sentiment de la même pièce qui se poursuit, mais avec cette fois un écho accentué sur la voix.

D’ailleurs, s’il y a un seul reproche qu’on peut faire à Detritus, c’est justement cette impression de langueur qui s’étire sur toute la première moitié de l’album. L’arrivée des percussions sur With Love and Blindness ajoute certes un élément en milieu de parcours, mais l’ensemble se révèle tout de même un tantinet répétitif.

Cela dit, ce choix de diviser les morceaux en deux sections vient décupler la force de frappe de la face B. Ça débute avec l’épique Tumble Down the Undecided, construite sur une longue montée dramatique propulsée par la batterie de Gara et l’ajout de drones sonores qui donnent un aspect inquiétant au violon. La batterie est également présente sur Shed Your Dear Heart, imitant presque le battement d’un cœur, tandis que la pièce-titre revient à un aspect plus calme en guise de conclusion.

Habitant désormais à New York, Sarah Neufeld reste tout de même très attachée à Montréal, et Detritus a d’ailleurs été enregistré au studio Hotel2Tango. Même s’il est moins accessible que The Ridge, ça demeure un disque d’une très grande puissance et un témoignage du pouvoir d’évocation de cette brillante instrumentiste.