Critiques

Public Practice

Gentle Grip

  • 44 minutes
6,5

Nous voyons ces temps-ci fleurir un peu partout des groupes de rock avec une esthétique nouvelle. Enfin ! Nouvelle, pas vraiment en réalité. Ces groupes ont les sonorités binaires et froides, mais aussi mélodieuses et innocentes de la période new-wave/post-punk et s’inspirent presque tous amplement des Talking Heads et autres Gang Of Four.

Ces groupes ont aussi le look Bauhaus, monochromatique et/ou minimaliste de ladite ère musicale. Murder Capital, Blossoms ou Parcels chez les anglophones, Film Noir ou Luke Anger chez les Français. Chacun fait sa petite cuisine et adopte sa vision de la période, mais une impression d’être à ce tournant fécond et bouillonnant des années 70 à 80 subsiste.

La déferlante se prépare donc, et il va être question, pour les groupes désireux de se faire connaître, de savoir la saisir.

Public Practice s’inscrit dans cette ligne. Le quatuor de Brooklyn est en réalité né de l’union de deux duos venus d’autres projets. Sam York et Vince McClelland des très post-punk Wall, puis Drew Citron et Scott Rosenthal du plus indie-pop Beverley. Ces deux entités unissent leurs forces sur ce premier album audacieux, qui, s’il révèle des aspérités, ne manque pas de retenir notre attention et de nous faire bouger la tête.

Leur musique oscille entre coups de génie touchés par une grâce disco-funk à la sauce indie, puis charge punk lo-fi assez ordinaire.

On retrouve du premier style la basse très puissante qui groove de façon infectieuse (Cities et Understanding) et la batterie à la fois précise et ferme qui nous déchiquette les tympans de petites frappes rapides et nous propulse dans une transe psychédélique de sa grosse caisse métronomique (Disposable et Underneath).

Du deuxième genre, nous avons les guitares soit trop aigrelettes, et qui manquent de caractères (Each Other). Soit trop distordues et qui perdent en mélodie (How I Like It). Comme s’il fallait que ce soit vilain pour exprimer quelque chose. Il y a aussi des suites d’accords trop souvent entendues et en général utilisées par les groupes d’obédiences punk stricts pour crier une hargne (mal formulée) envers la société.

Sur ce dernier aspect, les New-Yorkais sont par contre très efficaces. Ils abordent dans leurs textes des sujets de sociétés très actuels et dont on parle trop peu. C’est Sam York, la parolière en cheffe, qui déclarait au NME il y a quelques semaines : « Le morceau Compromised parle de la gymnastique morale qu’implique d’être juste un humain à notre époque. Comment trouver l’équilibre entre nos désirs de satisfaction matérielle et notre besoin d’être vu comme quelqu’un de bien et bon ? Qu’est-ce qui est le plus important, la chaussure que l’on achète, ou l’endroit d’où elle vient ? »

Question que se seront certainement posée ceux et celles qui se déclarent véganes, mais mettent un point d’honneur à avoir les dernières Nike ou le dernier iPhone à 72 objectifs. Question subsidiaire, si mon téléphone est vraiment intelligent, le suis-je toujours ? Du grain à moudre.

Maintenant, si l’on se passe en boucle la galette, forcément, on découvre des petites qui méritent de faire taire le râleur en nous et de se laisser porter par la musique. Déjà en bons hipsters de Brooklyn, Public Practice assume et maîtrise son penchant pour la musique expérimentale. Et ils ont un vrai talent quand il s’agit de mélanger structure pop classique et collage sonore peu orthodoxe.

À savoir, des morceaux qui consistent en de grandes nappes de sons inquiétants juxtaposés, où la chanteuse pose sa voix, dans de longues psalmodies monocordes saisissantes, ou des passages parlés. Le Velvet Underground rôde. Écoutez le morceau d’ouverture, Moon, glaçant comme un hiver anglais. See You When I Want To, avec la réverbération d’entrepôt désaffecté un soir de meurtre et les sons qui semblent tirés d’un jouet électronique détraqué. Puis, Leave Me Alone avec ses bruits d’outre-espace.

Il y a aussi l’ajout de textures étranges de guitares. Des grincements mécaniques sur Disposable. Des guirlandes scintillantes sur Underneath, qui donnent par ailleurs méchamment envie de danser, avec un couple basse-batterie du meilleur aloi.

On trouve aussi dans la musique de ces Américains une réelle sensibilité pop. Comme sur le bridge aérien de Each Other (chanson qui autrement semble très influencée par le duo sud-africain Make-Overs). Ou encore dans la façon d’arranger les voix sur Cities (sur le vers « shining on so brightly » particulièrement). My Head, un ska chanté de façon très sensuelle et propulsé par une batterie râblée.

Compromised, mentionné plus haut. Pop-rock frénétique et entraînant. À la structure plus « commerciale », couplet-refrain-pont  (pas fous les punks, c’est le morceau qu’ils utilisent comme simple). Le reggae inquiétant Undestanding, orné d’un solo de guitare sinistre, répète ce succès. Par ailleurs, on y retrouve leur délicate orfèvrerie vocale.

En définitive, Public Practice est un groupe séduisant, original, et qui a des choses à dire. Il est fort à parier qu’il va continuer de faire parler de lui dans les années à venir. Gentle Grip est quant à lui un premier album nuancé. Il est doté de qualités indéniables, mais aussi de limites évidentes.

On reste par exemple dubitatif quant à ce désir de faire de l’art abstrait avec les sons. Si un peu d’expérimentation ajoute du piment à une chanson, vouloir faire d’un morceau pop de trois minutes une toile sonore à la Kandinsky est vite pénible pour l’auditeur.

Si l’on salue la démarche artistique. Qui pourra se targuer d’avoir « sincèrement » (j’insiste sur ce terme) apprécié de bout en bout le premier LP de Julian Casablancas & The Voidz ?

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