Critiques

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Protomartyr

Ultimate Success Today

  • Domino Records
  • 2020
  • 40 minutes
9
Le meilleur de lca

Depuis 2008, la formation Protomartyr perfectionne son post-punk d’album en album. À un point tel où la dernière parution du groupe, Relatives in Descent (2017), a reçu l’approbation de tout ce qui gravite autour de la musique indépendante américaine. C’est la lucidité littéraire du chanteur-poète Joe Casey, combinée au jeu de guitare texturé et riche en réverbération du guitariste Greg Ahee qui crédibilise le son du quatuor. Comme quoi, un peu d’âme et une incontestable authenticité peuvent élever un art à une hauteur inattendue.

L’année dernière, après avoir lancé une réédition du premier album du groupe (No Passion All Technique, 2012), Casey s’est mis à réfléchir avec fébrilité à la direction artistique que devait emprunter le prochain album de Protomartyr : « Cette panique était en quelque sorte libératrice. Cela m’a permis de voir notre cinquième album comme une sorte de discours d’adieu d’une bruyante pièce de théâtre en cinq actes. Je le vois également comme un jalon intéressant de la première décennie de notre groupe – telle la crête d’une colline le long d’une longue autoroute. Bien que ce ne soit que pour couvrir mes arrières, je me suis assuré de prononcer mes derniers mots tant que j’avais encore le souffle pour les dire ».

C’est dans cet état d’esprit que Protomartyr s’est installé dans une vieille église construite au 19e siècle en prenant bien soin de recruter quatre autres musiciens en studio. Jemeel Moondoc (saxophone alto), Izaak Mills (clarinette, saxophone, flûte), Fred Lonberg-Holm (violoncelle) et Nandi Plunkett (voix) ont participé activement au processus créatif qui a donné naissance à ce cinquième chapitre intitulé Ultimate Success Today.

Les grands créateurs enfouissent souvent en eux une sensibilité qui leur permet d’anticiper les événements à venir. Aucun doute, ce nouvel album canonise Joe Casey. Il est le plus grand parolier rock du moment :

« The past is full of dead man

The future is cruelty

Resign yourself

Hey, have you heard them say

Ultimate Success Today ? »

Modern Business Hymns

Brossant un tableau sombre des ravages sociaux, environnementaux et économiques du capitalisme, les textes de Casey nous plongent dans un univers post-apocalyptique qui évoque le roman La Route, le chef-d’œuvre de l’écrivain états-unien Cormac McCarthy. En toute franchise, il n’y aurait pas assez d’espace ici pour citer les nombreuses perles littéraires que nous balance le parolier. Dans Processed by the Boys, Casey dépeint à la perfection le monde à venir… à moins qu’il ne soit déjà en train d’éclore sous nos yeux :

« Fill out the form

Download the app

Submit your face to the scanner

Everybody’s haunted with a smile

Being processed by the boys »

– Processed by the Boys

Malgré la facture sonore « vintage », le post-punk de Protomartyr, qui est pleinement au service de la poésie de Casey, ne fait qu’un avec la voix parfois inharmonieuse du chanteur. Inharmonieuse, car cette fois-ci, le poète tente une incursion mélodique plus prononcée si on compare aux précédents efforts. C’est dans la conclusive Worm in Heaven que ce changement de cap s’entend clairement.

Les guitares de Greg Ahee, elles, sont noyées dans une réverbération qui accentue cette atmosphère de « fin du monde » – on pense parfois aux bons moments d’Interpol – et les salves déflagrantes sont cette fois-ci plus subtiles, mais ô combien mémorables (I Am You Now, The Aphorist, Tranquillizer). Dans Processed by the Boys, le groupe nous propose un ingénieux decrescendo – procédé rarement entendu dans le rock – qui intègre une clarinette basse qui détonne; un élément de beauté dans un mur de son anxiogène.

Protomartyr est un groupe dangereusement lucide et patient, qui mise sur la pertinence à longue échéance pour fédérer de plus en plus d’adeptes. Un ovni sur une planète de plus en plus confuse…

Un disque à écouter avec les textes entre vos mains pour mieux comprendre le monde dans lequel vous vivez.

Autrement, vous découvrirez un parolier d’exception.