Depuis 2008, ce quatuor formé du poète-chanteur Joe Casey, du guitariste Greg Ahee, du bassiste Scott Davidson et du batteur Alex Leonard n’a cumulé aucun faux pas dans sa discographie. En 2020, Protomartyr nous présentait un autre joyau intitulé Ultimate Success Today; une création qui brossait un tableau sombre des ravages sociaux et environnementaux du capitalisme. L’approche vocale préconisée alors par Casey était plus harmonieuse, et ce, sans perdre le ton sardonique qui le différencie de ses semblables.

Enregistré dans un studio texan, la formation résidente de Detroit, Michigan, dévoile son sixième album studio titré Formal Growth in the Desert; un long format qui regroupe les textes parmi les plus personnels de Joe Casey. Le parolier a effectivement vécu une importante période de transition. Sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, a rendu l’âme après avoir souffert pendant de nombreuses années de cette vilaine « rongeuse » de mémoire.

Dans le communiqué de presse transmis par Domino Recordings, Casey précise la métaphore du désert intégrée dans le titre de l’album : « Le désert est un symbole qui met de l’avant les désirs émotionnels liés à un lieu ou à une époque qui manque cruellement de vie ». Les thèmes de la mort, de l’implacable vieillissement et du techno capitalisme sont abordés par cet auteur hautement doué. Or, pour la première fois, Casey dépoussière les volets de son imaginaire en y laissant entrer un peu de clarté.

Dans Graft Vs. Host, le fils rend un hommage lumineux à sa mère en lui promettant d’être résilient face aux énormes défis que l’humanité aura à faire face au cours des prochaines années :

Sadness running through my mind
She wouldn’t want to see me live this way

– Graft Vs. Host

Dans l’introductive et puissante Make Way, Casey évoque de nouveau la perte de sa maman en espérant qu’un endroit paisible soit accessible pour elle qui lui permettra peut-être d’oublier ses dures années passées sur cette planète.

Welcome to the haunted earth
The living after life
Where we choose to forget
The years of the Human Knife

– Make Way

Le guitariste Greg Ahee a élaboré ces nouvelles chansons en fonction qu’elles résonnent comme une trame narrative aux allures cinématographiques, inspirée par le vécu récent de Casey. Moins « punk », un brin plus harmonieuse, cette version vaguement domestiquée de Protomartyr n’altère en rien la force de frappe du quatuor.

Or, ce qui propulse la formation à un niveau créatif supérieur est la réalisation qui semble avoir bénéficié d’un peu plus de moyens. S’ajoute à cette musique plus « satinée » la contribution de synthétiseurs d’ambiance qui accentue la vastitude des morceaux.

Parmi les moments forts de cet album qui ne contient pratiquement aucune faiblesse, on note l’émouvante Fulfillement Center qui raconte une histoire d’amour entre deux travailleurs humiliés, et à bout de force, œuvrant dans un entrepôt appartenant à une multinationale…

Sur Let’s Tip the Creator, Casey exprime son agacement face à la façon dont les gens vénèrent les dirigeants de ces entreprises déshumanisantes. 3800 Tigers est un morceau décapant qui fait référence au nombre de tigres existants sur terre, mais c’est aussi un amusant clin d’œil aux Tigers de Detroit, l’équipe professionnelle préférée de Casey. Elimination Dances est une valse post-punk délicatement menaçante. Et Protomartyr conclut ce magnifique opus avec deux de leurs plus grandes chansons en carrière : The Author et Ruin Garden; un bijou de post-punk orchestral sur lequel Casey répète ad nauseam « Kiss me before I leave »…

Formal Growth in the Desert ouvre la voie vers une nouvelle direction musicale pour Protomartyr, sans égarer en chemin les penchants décapants, tortueux et lucides de leur proposition. Et si certains mélomanes pouvaient être rebutés par l’apparente misanthropie de Joe Casey, avec la résilience lumineuse exprimée dans les textes de ce nouvel album, il n’y a plus aucune excuse pour snober cette importante formation.