
Propagandhi
At Peace
- Epitaph Records
- 2025
- 48 minutes
Déjà 8 ans se sont écoulés depuis la sortie de Victory Lap, plus récent album du joyau du Manitoba : Propagandhi. Le temps file, comme on dit.
D’ailleurs, c’est un peu le thème central de ce 8e album du groupe de Chris Hannah et Jord Samolesky, qui fêteront leurs 40 ans de carrière l’an prochain. Nous y reviendrons.
D’abord, un peu d’histoire.
Formé en 1986 par les deux gars du petit village de Portage La Prairie et leur ami Scott Hopper à la basse, le groupe sortira plusieurs démos très mal enregistrés et enchaînera les tournées avec des groupes tels que Fugazi, NoMeansNo et autres routiers du punk des années 80. Scott quittera trois ans après la formation pour être brièvement remplacé par Mike Braumeister puis John K. Samson, leader des Weakerthans qui insufflera un côté indie-pop à la musique du groupe pour un bon moment. C’est un show avec les Californiens de NOFX qui permettra au groupe d’enregistrer son premier album How To Clean Everything en 1993. Fat Mike est alors séduit par ce qu’il entend et convainc les punks canadiens de le suivre à Los Angeles pour faire l’album. Le reste fait désormais partie de l’histoire. Samson quitte le groupe après l’excellent Less Talk More Rock pour être remplacé par Todd Kowalski qui insuffle un son nettement plus hardcore au projet, comme en témoigne l’opus numéro trois : Todays’Empires, Tomorrow’s Ashes. Par nécessité, un deuxième guitariste rejoint le trio pour la tournée de Potemkin City Limits, puisque la musique du groupe devient de plus en plus complexe. C’est David «Beaver» Guillas et il occupera une place déterminante sur les albums Supporting Caste et Failed States avant de quitter tranquillement le groupe pour se consacrer à sa famille lors de la composition de Victory Lap. La guitariste floridienne Sulynn Hago prend sa place et est encore parmi eux 8 ans plus tard. Voilà qui résume très rapidement les épisodes précédents.
Sur At Peace, on retrouve un groupe fatigué, mais encore fougueux et toujours aussi pertinent. Il faut malheureusement admettre que le contexte général de la vie sur terre n’aura jamais rendu aussi essentielle l’existence des groupes engagés. Et comme le discours politique férocement antifasciste, proféministe, anti-homophobie et pro-environnement constitue la raison d’être de la bande, disons que c’est un sale temps pour eux et ça paraît dans le moral des troupes. Le chant de Chris est plus doux, Todd ne crie plus du tout et le fait de vieillir en se sentant impuissant devant l’état des choses est résolument le sujet central de l’album. Vous l’aurez deviné, le titre At Peace est purement sarcastique.
Toutefois, au-delà du désespoir, il y a l’espoir. L’espoir de voir la lumière après avoir touché le fond. C’est le thème réel de la chanson titre qui se termine ainsi, avec une citation du poète et chanteur Bruce Cockburn :
Some days, I’m scared I’m gonna die or even worse, I might survive
I try to keep these words in mind
Nothing worth having comes without some kind of fight.
Gotta kick at the darkness till it bleeds daylight.
Ce thème d’espoir empreint de nostalgie revient sur une des chansons de Todd, No Longer Young, qui sonne littéralement comme une version adulte d’une chanson de son ancien groupe I Spy, ainsi que sur Rented P.A. et la chanson finale de l’album, la très poignante Something Needs to Die but Maybe It’s Not You.
Ce n’est pas le seul thème abordé, bien sûr. On retrouve l’humour subtil de Chris sur Cat Guy, dans laquelle il aborde le dilemme d’avoir à sauver de la noyade un bébé chien ou un bébé humain qui aurait le potentiel de devenir le prochain Hitler. Spoiler alert : Après en avoir analysé les arguments moraux, Chris déclare qu’il ne sait pas nager et qu’il a toujours préféré les chats aux chiens. Plus loin, Benito’s Earlier Work aborde l’héritage du fascisme en parallèle avec l’histoire actuelle et la division de la société selon l’axe gauche/droite est pointée du doigt dans Vampires Are Real.
Si le chant est plus tranquille qu’avant, la musique est toujours aussi énergique et complexe. Alors que les bands punks associés à Fat Wreck Chords (leur première maison de disque) se sont contentés toute leur vie de remâcher les mêmes formules, Propagandhi a toujours complexifié ses offrandes. Depuis Potemkin City Limits, c’est juste impossible de saisir toutes les subtilités de la musique du quatuor en seulement quelques écoutes. Leurs influences sont à chaque fois parfaitement distillées. Notons pour cet album-ci la petite pointe de Voïvod rencontre Tool utilisée dans le riff de Guiding Lights, la ligne de synthé (ou est-ce un effet de guitare?) de Stargazing et les nombreux solos échangés entre Chris et Sulynn, de quoi étourdir le néophyte pendant que le fan fait le bacon à terre.
Comme d’habitude, il me reste encore plusieurs écoutes à faire avant de tout comprendre. C’est pourquoi je continue de vénérer Propagandhi. Alors que les groupes engagés se font de plus en plus rares, le fait qu’ils existent encore est une raison de célébrer. À une époque où les œuvres sont jetées sitôt consommées, le quatuor fait de la musique durable qui ne vieillira jamais mal. Ce n’est pas leur disque le plus violent, mais c’est sans aucun doute l’un de leurs plus importants.