Nap Eyes
Snapshot of a Beginner
- Jagjaguwar Records / Royal Mountain Records
- 2020
- 46 minutes
Il y a des groupes qui se démarquent par leur constance. Depuis ses débuts sur disque en 2014, Nap Eyes a toujours su offrir des parutions de qualité presque équivalente, avec son mélange de folk et de rock psychédélique. Mais on attendait encore l’album qui ferait passer la sympathique formation néo-écossaise au niveau supérieur. Et bien, le voici, c’est leur quatrième et ça s’appelle Snapshot of a Beginner.
Depuis la sortie de l’album Whine of the Mystic en 2014, Nap Eyes a abondamment été comparé au Velvet Underground, non seulement en raison de son côté lo-fi, mais également parce que la voix du chanteur Nigel Chapman évoque beaucoup celle de Lou Reed. Le groupe a toujours aussi cultivé une attitude un peu désinvolte dans son rock souvent qualifié de « slacker », d’où les comparaisons avec d’autres formations comme Pavement ou Neutral Milk Hotel. C’est ce qui a toujours fait de Nap Eyes un groupe sympathique, cultivant la simplicité au détriment de l’artifice, même si leur album précédent I’m Bad Now se voulait leur plus ambitieux à date.
Pour Snapshot of a Beginner, Chapman et ses acolytes ont fait appel aux réalisateurs Jonathan Low (The War on Drugs, Strand of Oaks) et James Elkington (Steve Gunn) afin d’obtenir un son qui répondrait davantage à leurs aspirations. Car oui, il s’agit de leur album le plus élaboré au chapitre des arrangements. L’influence de Low se fait particulièrement sentir, avec quelque chose qui rappelle The War on Drugs. Pas assez pour dénaturer le son de Nap Eyes, mais ça lui confère un côté plus épique à la Springsteen (ou même à la Neil Young avec le Crazy Horse), notamment sur l’ambitieuse Real Thoughts, qui s’étire sur tout près de huit minutes.
Certes, des mélomanes pourraient regretter chez Nap Eyes la perte d’un côté un peu brouillon au profit d’une esthétique plus proprette et consensuelle. L’argument serait valable si les chansons n’étaient pas à la hauteur. Mais la vérité, c’est que Snapshot of a Beginner renferme plusieurs des meilleurs morceaux que le groupe ait jamais écrits. Oui, la production est plus soignée, mais elle demeure au service de la musique. Les moments forts sont d’ailleurs nombreux : la deuxième partie de Peculiar Soup, avec la batterie qui passe en mode militaire; la surréaliste et drôle Mark Zuckerberg, toute en contraste avec un riff labyrinthique en ouverture et une conclusion vaporeuse; la douce Fool Thinking Ways, caractérisée par des claviers majestueux.
La formation n’oublie pas son côté rock pour autant, comme en témoigne l’explosive If You Were in Prison, avec son énergie presque punk, ou bien la très-Rolling Stones Though I Wish I Could en toute fin de parcours. Les lignes de guitare sont aussi parmi les plus belles de sa discographie, en particulier lorsque les sonorités acoustiques et électriques se combinent, comme sur la touchante Dark Link, ou lorsque Chapman joue en harmonie avec son collègue de longue date Brad Loughead.
Nap Eyes s’est souvent distingué par ses textes intelligents et sa capacité à conjuguer le banal et la poésie songée dans une même phrase, en abordant des thèmes universels comme la recherche éternelle du bonheur et de l’harmonie spirituelle, dans un esprit d’autodérision. Sur So Tired, Chapman s’interroge à la seconde personne sur les aléas du processus créatif, tandis que Dark Link (inspirée du jeu Legend of Zelda!) semble avoir été écrite en prévision de ces temps troubles :
« This life never ends
There’s no chance of giving up
There’s only getting up again ».
– Dark Link
Les ingrédients étaient déjà réunis pour que Nap Eyes sorte de l’anonymat avec ce quatrième album. Le groupe a signé avec le label Jagjaguwar (Bon Iver, Angel Olsen, The Besnard Lakes) pour sa distribution internationale et a eu la chance d’enregistrer au studio Long Pond, à New York (The National). Mais il fallait aussi que la musique soit à la hauteur, et Snapshot of a Beginner y parvient haut la main…