Critiques

Myriam Gendron

Ma délire – Songs of Love, Lost & Found

  • Feeding Tube Records
  • 2021
  • 75 minutes
8
Le meilleur de lca

Malgré d’excellentes critiques et un rayonnement qui va au-delà de nos frontières, l’autrice-compositrice-interprète folk Myriam Gendron reste encore un secret trop bien gardé. La preuve, à sa sortie au début-octobre, son deuxième album Ma délire – Songs of Love, Lost & Found est passé sous le radar dans nos pages, et il est grand temps de remédier à la situation tellement ce disque est émouvant de vérité.

Native d’Ottawa, Myriam Gendron s’est fait connaître en 2014 avec la parution de son premier album Not So Deep as a Well, pour lequel elle avait mis en musique les poèmes de l’écrivaine, scénariste et activiste américaine Dorothy Parker (1893-1967). Elle avait enregistré le disque dans sa chambre, toute seule avec sa guitare et quelques logiciels de traitement de son. Le résultat final était à la fois touchant et empreint d’une très grande sensibilité, Gendron s’appropriant les mots de Parker pour en faire quelque chose de personnel mais aussi très respectueux de sa source.

La démarche ayant mené à la création de Ma délire – Songs of Love, Lost & Found témoigne d’un esprit relativement similaire, même si le projet en lui-même se veut plus ambitieux, tant sur le plan de la forme que dans la variété de ses inspirations. En effet, Gendron a cette fois décidé de puiser dans diverses traditions musicales pour se construire un univers sonore bien à elle, empruntant au folklore américain, canadien et québécois, en plus d’offrir quatre compositions originales et deux reprises de John Jacob Niles, une des figures majeures de la musique folk américaine.

Le plus fascinant à l’écoute des 15 chansons qui composent Ma délire – Songs of Love, Lost & Found, c’est à quel point toutes ces traditions s’imbriquent pour faire ressortir la voix d’autrice de Myriam Gendron, qu’elle chante ses propres mots ou ceux des autres, qu’elle le fasse en anglais ou en français. Par exemple, il faut écouter la transition entre I Wonder as I Wander (une reprise de John Jacob Niles) et La jeune fille en pleurs (une de ses propres compositions) pour réaliser que les deux chansons sont le fruit de la même démarche axée sur l’authenticité et la simplicité. Les thèmes abordés ici sont d’ailleurs universels, et ce peu importe, de quelle tradition musicale il est question : la famille, l’amour, l’absence, la quête d’un pays, etc.

Évidemment, toutes les chansons sont centrées sur la voix de Gendron, qui se veut à la fois sobre et vulnérable, et sur son jeu de guitare, précis mais sans fioriture inutile. Ces deux éléments se suffisent à eux-mêmes et donnent encore plus de force à un titre comme Le tueur de femmes, dont le texte sombre n’en est que plus troublant en raison de l’accompagnement épuré, avec de petites touches d’harmonica. Ailleurs, c’est en ajoutant de la distorsion à sa guitare que Gendron parvient à traduire l’émotion du texte, comme sur sa relecture du classique Par un dimanche au soir.

On reste ébloui aussi par la quantité de niveaux de lecture que Gendron arrive à créer à partir de matériel tout simple en apparence. Sur Poor Girl Blues, elle mélange une vieille chanson blues avec les paroles d’Un Canadien errant pour en faire une toute nouvelle rumination sur le thème de l’exil. Le son devient aussi matière à réflexion, comme sur la magnifique Au cœur de ma délire, qui incorpore des chants de criquet, un reportage télévisé sur un accident de la route et des bruits d’enfant de manière à venir bouleverser les frontières entre le chant plaintif et la comptine.

Dévoilant de nouveaux atours à chaque écoute, Ma délire – Songs of Love, Lost & Found est un album de contrastes, qui puise sa puissance dans son étonnante sobriété. C’est également un disque qui ouvre de nouvelles possibilités sur la manière de se réapproprier notre folklore et d’en découvrir d’autres significations.