La simplicité est une vertu. Pour son nouvel album sous le nom Mon Doux Saigneur, Émerik St-Cyr Labbé avait exprimé le désir de revenir à une expression plus directe, tant dans les textes que sur le plan de la production. Toujours apprêté à la sauce folk-rock americana, le très réussi Fleur de l’âge est un disque qui fait du bien, beaucoup de bien même, et qui donne le goût de s’envoler sur les routes d’été.

St-Cyr Labbé a beau avoir lancé son disque précédent, l’excellent Horizon, il y a tout juste deux ans, on a l’impression qu’il revient de loin. Il est vrai que le hasard a fait en sorte que l’album est paru en février 2020, tout juste quelques semaines avant que le monde s’arrête à cause de vous savez quoi, si bien que Mon Doux Saigneur n’a pas été en mesure de donne vie à ces nouvelles chansons en tournée.

Fleur de l’âge se situe dans la continuité de son prédécesseur sur le plan stylistique, même s’il s’en démarque à quelques égards. Sur Horizon, St-Cyr Labbé n’avait pas caché son admiration pour le country-rock et le folk roots à la manière CCR ou The Band. Il y avait d’ailleurs un petit côté « saloon » à certains morceaux, comme dans le piano « honky tonk » de l’excellente Tempérance. Ces influences restent présentes sur ce nouvel album, mais avec un côté rock americana encore plus prononcé. Les guitares cristallines de l’accrocheuse Art vivant évoquent tout de suite la musique de Tom Petty, dont l’ombre plane à quelques moments sur l’album, y compris sur Rodeo en conclusion et dont la pulsation fait penser à I Won’t Back Down.

Même si Mon Doux Saigneur est avant tout le projet de St-Cyr Labbé (il en signe tous les textes), la force du groupe réside aussi dans la cohésion entre les musiciens. L’esprit de symbiose au sein de la section rythmique est tel que le résultat s’entend, comme si le plaisir de jouer se reflétait dans le groove. C’est particulièrement vrai dans l’interaction entre la batterie et la guitare électrique sur Vieux garçons, tandis que la pedal steel de David Marchand s’éclate sur l’excellente Flou.

L’exploration stylistique la plus surprenante est Shoegaze, qui n’est pas tant shoegaze que psych-rock, avec sa voix éthérée. Tirant vers le pop-rock des années 80, Mélodie est très efficace elle aussi et rappelle un peu Dire Straits. Le country-rock archi-assumé de Jojo fonctionne également à merveille, avec un aspect à la Sweetheart of the Rodeo du groupe The Byrds, un des disques fondateurs du genre.

Dans sa quête de simplicité, St-Cyr Labbé a opté pour des textes plus directs, moins abstraits. Ainsi, Vieux garçons est une magnifique ode à l’amitié, celle qui dure et qui traverse les épreuves et le temps qui passe :

« Mon nom est écrit partout

Mais je ne possède rien

Tu m’inspires à ta façon

Au long de ce parcours

J’ai fait pied de nez au destin

Pour travailler par amour

Et je peux compter sur vous ».

– Vieux garçons

Plusieurs textes sont teintés du contexte de la pandémie, avec tout ce que ça implique en termes de sevrage social. St-Cyr Labbé aborde le sujet avec beaucoup de sincérité, mais ça crée parfois une certaine redondance. Ainsi, Art vivant et Rodeo exploitent toutes deux le thème de l’absence avec des lignes du genre « où t’es passé », tandis que Jojo applique la même thématique à la vie de tournée :

« J’m’ennuie de conduire

J’m’ennuie de te causer

J’m’ennuie de dormir

Dans mon char ».

– Jojo

C’est là un bien petit bémol sur un album franchement réussi au final, à part peut-être une légère baisse d’énergie à mi-parcours, entre Shoegaze et la chanson-titre. Avec maintenant trois disques au compteur, Mon Doux Saigneur s’impose de plus en plus comme un des incontournables du folk-rock québécois, un genre qui a parfois eu du mal à se renouveler depuis la belle époque des années 70. Il ne reste plus qu’à souhaiter que le groupe obtienne enfin la renommée qui lui est due.