Critiques

Matt Berninger

Serpentine Prison

  • Concord Records
  • 2020
  • 42 minutes
7

Cette voix unique de l’indie-rock états-unien œuvrait en parallèle afin de concevoir son premier album solo. Dans le communiqué de presse remis aux médias, le chanteur de la formation The National explique pourquoi la gestation de cette première offrande en mode esseulé a pris autant de temps à voir le jour : « Récemment, j’ai écrit des chansons pour des films et pour d’autres projets dans lesquels je devais entrer dans la tête de quelqu’un d’autre, ressentir ses sentiments. J’ai aimé ce travail, mais ça m’a donné envie de fouiller à nouveau dans ma camelote personnelle. Serpentine Prison est la première chose qui en est ressortie ».

Si les nombreux projets de Matt Berninger ont retardé la sortie de son album, la productivité de The National est aussi à prendre en considération. L’année dernière, la formation prisée des « forty-something » a fait paraître I Am Easy to Find; un très bon disque.

Pour donner vie à ses chansons, Berninger a fait appel au service de Booker T. Jones, un producteur de musique soul et meneur du groupe Booker T. & the M.G.’s. En plus du légendaire musicien, le chanteur a mobilisé quelques amis afin de lui prêter main-forte. Matt Berrick (The Walkmen), Andrew Bird et Gail Ann Dorsey (bassiste dans le groupe de David Bowie jusqu’à son décès) ont tous mis la main à la pâte afin de bonifier les chansons du vétéran bientôt cinquantenaire. Mention spéciale à la performance vocale de Dorsey dans Silver Springs; une intervention parfaitement en concordance avec la voix de baryton de Berninger.

Lorsqu’un chanteur amorce la genèse d’un disque solo, il tente généralement de se distancier de ce qu’il crée avec ses habituels accompagnateurs. Dans ce cas-ci, Berninger renoue avec le folk-rock orchestral qui a fait la renommée de The National à ses débuts. On pense ici à Sad Songs for Dirty Lovers (2003), Aligator (2005) et même au vénéré High Violet (2010). Les admirateurs du quintette basé à Brooklyn ne seront absolument pas dépaysés à l’écoute de Serpentine Prison.

Malgré ce traditionalisme musical, les chansons de Berninger tiennent solidement la route et le mélodiste émeut plus d’une fois. Dans One More Second, c’est la lucidité du chanteur qui bouleverse :

« Baby, I’m going to be fine

When I figure out where I’m going »

– One More Second

Toutes ces chansons douces-amères sont superbement enrichies par des cuivres funèbres, des guitares arpégées, des percussions discrètes, des claviers rétro, incluant quelques salves de cordes subtilement réparties tout au long des dix pièces de ce disque. On reconnaît la signature de Booker T. Jones qui ne dénature en rien l’approche vocale réconfortante de Berninger. Coup de chapeau à la conclusion orchestrale dans Loves So Little et au folk confidentiel entendu dans Oh Dearie.

Même si la différenciation est peu marquée par rapport aux albums du quintette new-yorkais, et même si le résultat final peut être perçu comme une sorte de paresse créative, Serpentine Prison est un disque produit par un chanteur réellement émouvant.

Ça plaira autant aux fans de The National qu’aux amateurs d’Americana pantouflard.

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