Madlib
Sound Ancestors
- Madlib Invasion
- 2021
- 41 minutes
Otis Jackson Jr. a toujours pris un malin plaisir à se fractionner en différents personnages. On peut penser au mystérieux Quasimoto qui ne laissait jamais passer une rime sans prendre une bonne bouffée d’hélium. Le Yesterday’s New Quintet, ce quintuple jazz qui n’est en fait que cinq fois la même personne. Ou encore Lootpack, un trio formé de Jackson Jr., de DJ Romes et de Wildchild qui ont fait paraître un des albums les plus lourds du mouvement hip-hop de la côte ouest des États-Unis, Soundpieces : Da Antidote. C’est toutefois sous le nom de Madlib qu’il a bâti le plus fort de sa renommée. En 2003, il s’est vu octroyer l’accès complet au répertoire d’un des plus grands labels jazz de tous les temps : Blue Note Records. Le résultat était impressionnant, il évoque clairement la force de Madlib ; s’asseoir, écouter, assembler.
Madlib est davantage un assembleur qu’un musicien. Son processus se résume à écouter énormément de musique, identifier des séquences où un instrument se démarque dans la chanson et ainsi tenter de le coller à une autre séquence issue d’une autre chanson. L’échantillonnage n’a rien de vraiment sorcier et il peut rapidement devenir lassant pour l’auditeur. Et c’est là que réside la beauté de l’échantillonnage; la chanson ne peut qu’être aussi bonne que l’oreille de son compositeur. C’est-à-dire que si le compositeur ne dispose ni d’une oreille bien affûtée ni d’un répertoire massif de sons et de séquences, il sera difficile pour lui de se rendre intéressant par la voie de l’échantillonnage. Madlib fait partie de ceux ayant une oreille sans pareille pour le collage sonore.
Jackson Jr. sait d’autant plus que pour rendre ses «beats» intéressant, ils doivent être jumelés aux brios vocaux de MC talentueux. On peut penser à ses associations avec feu MF DOOM où une véritable synergie émanait de Madvillainy. On pense aussi à Freddie Gibbs qui lui a donné sa confiance pour les réalisations des très respectables Pinata et Bandana.
Avec Sound Ancestors, Madlib nous livre un album instrumental dépouillé des prouesses lyriques d’un MC, mais assisté par le génie de Kieran Hebden (Four Tet).
Sound Ancestors est donc un album collaboratif qui s’étend sur des années de partage entre les deux hommes où Madlib envoyait divers assemblages à Hebden lui accordant une confiance totale de remanier librement. Le résultat est intéressant à analyser.
Sur Sound Ancestors, Madlib ne se limite pas qu’aux rythmes hip-hop, mais se permet même d’explorer l’afrobeat comme sur la toute dernière pièce Duumbiyay ou encore sur Latino Negro. On entend aussi des échantillons de style reggae, sur Theme de Crabtree, par exemple, ou encore sur Loose Goose et Riddim Chant. D’autre part, Road Of The Lonely Ones semble être LA chanson signée Kieran Hebden. Vraiment, sans celle-ci, l’influence d’Hebden ne se fait presque jamais sentir. En réalité, l’album s’appuie beaucoup plus sur Madlib que Four Tet.
Individuellement, les morceaux sont bons, en fait, l’album n’est pas mauvais du tout, mais il n’est pas excellent non plus. Il y a de très fortes séquences, comme Loose Goose, Dirtknock, Hopprock, One for Quartabe. Honnêtement, toutes les pièces sont bonnes jusqu’à un certain moment, mais elles perdent presque toutes leur intérêt. L’auditeur ne peut que constater le brio d’assemblage derrière le travail de Madlib ; il réussit à créer de très bonnes séquences, mais sans l’appui d’un MC, les morceaux s’estompent rapidement.
Le projet est un voyage sonore racontant les diverses influences ayant modeler Madlib tout au long de sa vie. Toutefois, raconter une histoire sans avoir recours aux paroles est assez ambitieux. Si Jackson Jr. nous fait voyager dans des continents d’influences musicales, l’histoire est répétitive et laisse plusieurs moments musicaux redondants. Et c’est là où réside la faiblesse de Madlib, il assemble très bien, mais simplifie la formule en jouant en boucle les échantillons. Ses productions sont d’autant plus attrayantes lorsqu’elles sont jumelées aux prouesses d’un rappeur de talent. On y ajoute alors un élément d’imprévisibilité, une voix humaine en somme.
Prenons un autre grand échantillonneur, DJ Shadow. Il fait paraître Endtroducing….. en 1996, un album instrumental comportant seize morceaux, tout comme Sound Ancestors de Madlib. Là où DJ Shadow excelle, c’est qu’il fait de son assemblage sonore une histoire qui progresse, qui ne cesse jamais de se réinventer, il ne laisse aucun moment répétitif ou lassant, il n’est jamais prévisible. En revanche, la formule qu’arbore le producteur natif d’Oxnard en Californie est prévisible, rien ne progresse vraiment et l’auditeur ne se voit que très peu surpris tout au long de l’écoute de Sound Ancestors.