Critiques

Loscil

Clara

  • Kranky
  • 2021
  • 77 minutes
7,5

Loscil est le projet solo du compositeur Scott Morgan, un Canadien de Vancouver qui se démarque en musique électronique ambiante depuis une vingtaine d’années avec ses influences minimaliste et expérimentale, voire drone et électroacoustique. Bien que la majorité de sa discographie honore ingénieusement ce mélange, Morgan a ajouté une saveur sur Monument Builders (2016) en texturant les trames atmosphériques avec des ingrédients percussifs inspirés de la musique dance cérébrale (ou IDM en anglais). En parallèle à quelques collaborations, il a composé depuis la trame sonore du jeu vidéo Lifelike (2019) et le très bon Equivalents (2019).

Loscil était de retour à la fin mai avec Clara, un douzième album studio qui retrouve une part de rythme et un sens de la respiration plus près de la vibration acoustique. C’est que la matière première vient d’un enregistrement de trois minutes d’une performance d’un orchestre de Budapest qui a été gravé sur un vinyle pour ensuite être grafigné à volonté. Les échantillons extraits ont été déformés et sculptés en trames atmosphériques qui planent de l’ombre à la lumière en prenant le temps d’expirer, parfois presque jusqu’au silence.

Lux part d’une respiration réverbérée créée à partir de frottements de cordes; une pièce montée sur deux accords qui évoluent dans l’espace et se densifient comme un brouillard de notes. Lumina fait suite avec une séquence ambiante qui tourne en boucle, marquant le tempo pendant que le thème s’éclaircit joliment en échos successifs. Lucida reprend le motif de respiration aux cordes, comme une vielle étirée dans l’espace et le temps qui se renouvelle en dédoublant les filaments mélodiques. 

Stella apparaît très progressivement, venant d’un peu plus loin comme une entité planant sur un courant aérien. La trame s’amincit à mi-chemin, presque au point de fragmenter, mais les notes de harpes étouffées font un lien délicat entre les silences. Vespera marque un contraste avec sa pulsation profonde ponctuée par une boucle rythmique, tel un mécanisme autour duquel se développe une trame de journée pluvieuse.

Sol se déplace en vagues d’amplitude, générant un bourdonnement au-dessus duquel se croisent des résonances de conduit d’aération. La ligne de vibraphone en arpège ajoute une sensation d’élévation qui se termine sur de la vibration de verre. Aura descend dans les profondeurs en frottant lentement les cordes, laissant l’espace et le silence répondre à l’accord joué de sorte que le bruit de fond ait le temps d’osciller. La ligne mélodique se dédouble et joue en parallèle à une copie qui passe dans un vocodeur, générant un effet de grattement comme une aguille sur un vinyle.

Flamma continue dans la même direction, reprenant le vibraphone en arpège ascendant comme une vue en contre-plongée vers la surface de l’océan. Le thème s’éclaircit, comme pour laisser entrer des rayons de soleil à travers lesquels évolue une chorégraphie sous-marine. Orta accélère légèrement le tempo, combinant une pulsation de corde étouffée avec un voile de grésillement en une boucle, qui tourne sous les notes enveloppées dans la ouate. La pièce-titre résonne toute en longueur, élancée de manière à évoluer d’un accord joué en solo vers celui décuplé d’un orchestre symphonique, pour finalement revenir conclure à la ligne de départ.

Clara laisse une impression de drone qui survole un lieu inhabité, possiblement abandonné, recueillant les fragments d’un événement passé (la performance de l’orchestre) pour lui redonner vie dans un documentaire sonore. La contrainte de tout composer à partir d’un enregistrement de trois minutes a l’avantage de rendre l’album très homogène et linéaire, réunissant toutes les pièces en une seule grande trame parfaite pour l’écoute passive. Pour les plus attentifs, le retour des boucles rythmiques et des textures percussives permet d’apprécier le souci du détail auquel Loscil nous a habitués au fil des vingt dernières années.