Critiques

Joni Void + N Nao

L’oiseau chante avec ses doigts

  • Mickroclimat
  • 2021
  • 46 minutes
6,5

L’histoire d’amour musicale entre Joni Void et N NAO se poursuit avec ce nouveau volet de leurs collaborations, faisant suite à un premier album particulièrement réussi sur l’étiquette française Laaps et un simple paru dans le cadre de la série Corona Borealis de Constellation Records. On les retrouve aujourd’hui avec leur production la plus étrange et aride à ce jour; L’oiseau chante avec ses doigts, publié par l’écurie locale Mikroclimat.

Les premiers instants mettent la table : nous allons explorer un pays aussi psychédélique et onirique que celui Alice, mais les merveilles en moins. Après 10 minutes de chaos sonore et d’échantillons de Disney qui pourront malheureusement en décourager plusieurs d’entrée de jeu, le calme arrive enfin via la voix vespérale de Naomie. On s’adresse plus clairement à un public d’initiés qu’à monsieur-madame tout le monde, ce qui n’est pas non plus négatif en soit.

Insomnie propose par la suite l’un de mes segments préférés de l’album avec ses échantillonnages d’orgues pour ensuite s’ouvrir sur une proposition vocale particulièrement bruitiste et angoissante. C’est ici que le duo est au sommet de sa forme à mon avis : lorsqu’il se retrouve dans l’improvisation pure et en pleine cohésion. La finale de la chanson suivante puis le début de l’autre nous offrent un moment si sublime qu’ils nous donnent le goût sans cesse de faire rejouer cet enchaînement. Ce sera finalement le calme avant la tempête, puisque l’album redeviendra par la suite de plus en plus électronifié et confus. Le reste de l’offrande se termine un peu comme elle a commencé : planante parfois, mais aussi brutaliste et fort cryptique.

Ce que je me permets de reprocher à cet album, c’est son manque de finalité interne. On a de la difficulté à cerner quand commencent et se terminent les segments de l’album et le duo ne souhaite visiblement pas non plus nous amener d’un point A à un point B. C’est un choix qui peut se défendre; n’oublions tout de même pas qu’il s’agit d’un patchwork, d’un collage musical surréaliste, une technique dont Joni Void et N NAO se revendique tous les deux sur chacune de leurs publications collaboratives à ce jour. Le résultat se veut au final une évocation d’un rêve conscient, parfois doux, parfois plus cauchemardesque et psychotique, mais dans lequel on se perd complètement.

C’est juste qu’ici, ça finit parfois par être pleinement confus. Les idées fusent en tous sens et il manque peut-être un fil conducteur plus facilement intelligible pour tout unir dans la tête de l’auditeur désoeuvré. Du moins, quelque chose de plus que des extraits d’Alice au pays des merveilles. On sent plus d’improvisations que sur l’excellent Nature morte, où tout était presque mathématique, organisé graphiquement et conçu comme une boucle sans fin. Non, ce nouvel opus veut nous dérouter et c’est réussi, mais aurait beaucoup mieux fonctionné dans le cadre d’une performance live devant public. De voir les deux artistes à l’œuvre aurait permis de mieux comprendre leurs idées, leurs cheminements de pensées dans l’élaboration de ce monument aussi étrange qu’hypnotique. L’écoute seule se révèle malheureusement plus exigeante.

Ceci dit, il ne faut pas ici tirer de ces critiques un constat d’échec. C’est le propre d’un projet d’expérimentation pure et d’improvisation que de nous laisser parfois un document moins au point que les autres. Le duo pourra se permettre de repartir sur des bases toutes aussi désorientantes et captivantes sur leur prochain projet; Jardin, le deuxième volet du diptyque entamé avec L’oiseau chante avec ses doigts que l’on a déjà très hâte d’entendre.

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