Critiques

Khruangbin

Mordechai

  • Dead Oceans Records
  • 2020
  • 44 minutes
6,5

Depuis ses débuts sur disque en 2015, le trio texan Khruangbin s’est construit une réputation enviable, avec son mélange de funk psychédélique, de soul et de musique du monde. Pour son troisième album, Mordechai, le groupe délaisse quelque peu son côté instrumental et propose plusieurs morceaux avec de la voix, pour un résultat axé davantage sur la forme chanson, mais qui n’atteint pas toujours la cible.

Formé de la bassiste Laura Lee Ochoa, du guitariste Mark Speer et du batteur DJ Johnson, Khruangbin s’est d’abord fait connaître par sa relecture du funk thaïlandais des années 60, genre que le groupe a découvert en surfant sur les Internets. Le trio est d’ailleurs clairement issu de la génération YouTube, celle qui a désormais accès à des musiques du monde entier par un simple clic de souris. Le funk psychédélique de Khruangbin combine d’ailleurs de nombreuses influences, du dub jamaïcain au rock congolais, en passant par la musique traditionnelle indienne. On pourrait taxer le trio d’appropriation culturelle, mais il semble assez évident que leur démarche est le fruit d’une recherche approfondie, faite dans le respect des autres traditions.

Plus tôt cette année, Khruangbin s’est associé à Leon Bridges afin de lancer le EP Texas Sun. Il est difficile de dire à quel point ce projet parallèle a influencé la création de Mordechai, mais toujours est-il que ce troisième album du trio est celui qui se veut le plus « pop », avec moins d’ambiances oniriques de style western spaghetti et une plus grande emphase sur les mélodies. Ça donne des morceaux réussis comme So We Won’t Forget, peut-être le titre le plus radiophonique de toute la discographie du trio, ou Dearest Alfred. Dans les deux cas, la voix suave et posée d’Ochoa s’agence bien aux grooves lancinants et contrôlés de la section instrumentale. Les textes, sans être transcendants, abordent des thèmes assez peu convenus dans un contexte de chanson pop, comme l’amnésie ou les lettres laissées par un grand-père disparu.

Musicalement, Khruangbin explore et combine des styles de différentes époques et de différentes régions du monde avec une aisance qui ferait l’envie de bien du monde, du disco-funk de Time (You and I) au flamenco espagnol sur Pelota, personnellement ma préférée sur l’album. Encore une fois, le travail de Mark Speer à la guitare se révèle particulièrement riche, non seulement sur le plan de la maîtrise technique, mais aussi en termes de sonorités, tandis qu’il explore les différentes possibilités de ses pédales d’effets (wah-wah, chorus, flanger) afin de varier les textures.

Malgré toutes ses qualités, Mordechai souffre parfois d’un certain manque d’énergie qui alourdit inutilement certaines pièces. Certes, Khruangbin est passé maître dans l’art de créer des rythmiques enveloppantes, dont l’aspect répétitif se compare à celui d’un effet de transe. Sauf qu’ici, le côté atmosphérique l’emporte régulièrement sur l’expérience « tripative », comme l’aurait si bien dit Jacques Languirand, avec pour résultat que la musique se fond un peu dans le décor, comme celle de votre bar lounge préféré. C’est notamment le cas sur If There Is No Question et One to Remember, déjà parmi les plus longs morceaux de l’album, et qui s’étirent inutilement.

Cela dit, les fans de Khruangbin devraient quand même y trouver leur compte sur ce troisième album, qui conserve l’esthétique vintage si caractéristique de la musique du trio, comme si elle nous parvenait d’une autre époque (à l’image des Suédois GOAT, dont le rock psychédélique tapissé de percussions africaines m’interpelle davantage). Mais dans le genre, je préfère le précédent Con Todo El Mundo pour son côté un peu poussiéreux et rugueux, alors que Mordechai manque parfois de relief.