Critiques

little oblivions

Julien Baker

Little Oblivions

  • Matador Records
  • 2021
  • 43 minutes
8
Le meilleur de lca

« There’s no glory in love, only the gore of our hearts »

– Julien Baker

Julien Rose Baker : sensation sentimentale qui a le don de faire pleurer, parfois de bonheur, tantôt de tristesse. La multi-instrumentiste du Tennessee profite de son quart de siècle pour s’arracher les entrailles (au plaisir de nos oreilles) sur Little Oblivions.

Après Sprained Ankle et Turn Out the Lights, sa troisième offrande propulse la jeune Américaine sous les projecteurs d’une scène « sad-indie » des plus florissantes. Depuis son dernier long jeu, Baker s’est lié d’amitié à Phoebe Bridgers et Lucy Dacus, pour mettre sur pied la super formation Boygenius, l’instant d’un EP et d’une tournée. D’ailleurs, le trio a récemment affirmé qu’Adrianne Lenker (Big Thief) serait la quatrième membre idéale pour Boygenius.

Donc voilà, la protégée de Matador Records atteint la consécration grâce à un album viscéralement poignant. Véritable flèche lancée droit au coeur, Little Oblivions est une introspection profonde où la guérison, la rédemption, et le blâme s’entrechoquent brillamment.

Enregistré dans sa ville natale, à Memphis, Tennessee, ce nouvel opus est une autobiographie brute. Julien Baker y explique, sans filtre, l’impact de ses blessures du passé. C’est aussi un résumé très peu délicat de sa relation avec la sobriété totale; elle qui est straight-edge depuis quelques années.

S’identifiant comme une « christian socialist », la religion est centrale, voire omniprésente dans le monde de Julien Baker. Elle affirme même qu’elle a reconsidéré drastiquement sa perception de la foi. Faith Healer reflète parfaitement cette remise en question, notamment liée à son image publique. Force est d’admettre que son look anarchopunk est plutôt contradictoire avec la vision que l’église se fait de la catholique typique.

Du côté des arrangements, l’apport des percussions est foutrement marquant, contrairement aux deux premiers opus. La puissante batterie et les textures shoegaze rehaussent habilement l’émotion des textes de Baker. Mention spéciale au savant réalisateur de l’album, Calvin Lauber.

Alors que les trois premières pièces étaient connues du grand public, la quatrième en liste, Relative Fiction est une douce découverte, une ballade mélancolique digne d’une marche nocturne lors d’un soir de rupture. Malgré tout, le ton est plutôt «optimiste» lorsqu’on compare aux pièces suivantes. C’est le cas sur Crying Wolf, morceau bien plus minimaliste en matière d’instrumentations. Un clavier délicat accompagne la chaude envolée vocale de Baker qui se prend pour une louve à la recherche de sa meute.

Si Little Oblivions est un long périple à travers les omissions et les déceptions, quelques escales surprenantes se trouvent sur le chemin. Song in E est le seul morceau en formule seule au piano et cette chanson n’est pas moins triste pour autant. Étrangement, je considère que ce moment aux claviers ne casse pas le rythme et ne brise pas le fil conducteur du disque, bien au contraire. Je la perçois et l’entends plutôt comme un doux bonus.

Question de tout casser, Repeat est une libération déphasée de la réalité, alors que la répétition et la variation des effets vocaux de Baker sont particulièrement synthétiques. Comme si un de ses clones avait pris possession du studio, l’instant d’un enregistrement.

Si je poursuit l’analyse par un quasi pièce par pièce, je me dois de souligner l’effet destructeur/salvateur de Favor, pièce qu’on a découverte le 3 février dernier. D’ailleurs, pour moi, le refrain est un sublime ver d’oreille fort en dualité.

« It doesn’t feel too bad

But it doesn’t feel too good, either

Just like a Nicotine patch

It hardly works, then it’s over »

– Favor

Constat d’écoute, ce nouvel album de Julien Baker n’est visiblement pas une thérapie auditive. À écouter le coeur léger, surtout pour les plus emos parmi vous. Un chef d’oeuvre dans le genre, rien de moins!