
Jazzy Bazz
NIRVANA
- 3.14 Productions
- 2025
- 31 minutes
En 2008, en plein cœur de Paris, un collectif hip-hop s’est formé qui allait cultiver un gratin de rappeurs parisiens aux identités parfois marquées, parfois moins, mais qui allait néanmoins rester soudé de nombreuses années. Parmi leurs rangs, nous comptons les moins connus Deen Burbigo et Doums, les plus connus Alpha Wann et Nekfeu, mais également un autre se démarquant à sa manière : Jazzy Bazz. Lui, il a un flow calme, enveloppant, et développe son univers teinté d’une teinte nocturne et nostalgique, mélancolique comme un ciel étoilé, mais sophistiqué comme un centre-ville de nuit. Nuit et Memoria n’ont peut-être pas connu un grand succès critique, mais ce sont des albums qui ont fait leur bout de chemin chez les auditeurs de rap curieux et aventureux.
Avec son dernier album, NIRVANA, les choses ont évolué un peu. En effet, Ivan Bruno-Arbiser avait annoncé sur ses réseaux que, pour cet album, il s’était entraîné à réaliser ses prods lui-même en collaboration avec le producteur Nu_Tone afin de rendre le produit final fidèle à sa vision artistique. Dans un monde qui se veut parfois hostile à l’art brut et à la création pure, cette démarche fait du bien. Reste à savoir si elle a porté fruit! Alors, que vaut donc cette odyssée dans le nirvana de Jazzy Bazz?
Déjà, puisque nous sommes sur le sujet : les prods. Finalement, NIRVANA se veut plutôt conventionnel et reposé sur ses acquis, mais effectue tout comme il se doit. On retrouvera donc du boom bap à plusieurs (plusieurs) reprises, comme sur Vertigo et la chanson-titre, Nirvana, ou des instrus trap classiques comme sur Soledad et Death Row. Néanmoins, dans leur créneau, elles réussissent à remplir un certain cahier des charges : on sent le soin et le travail qu’y a mis Jazzy Bazz. Ainsi, les enchaînements entre les morceaux se font sans frein et sans accroc, rendant l’écoute fluide et transformant l’album en expérience plutôt qu’en une série de morceaux séparés. Cela dit, cet avantage peut comporter un inconvénient : les morceaux se fondent les uns dans les autres, les rendant trop dépendants l’un de l’autre, ceux-ci devenant difficilement dissociables et uniques. Leur courte durée joue également en leur défaveur. Un morceau comme T’oublier glisse adéquatement dans les oreilles avec sa guitare, mais passe si vite qu’il est facile de l’oublier juste après (ah tiens, ça marche avec le titre…). L’énergie retombe donc facilement, et oui, il y a une certaine répétition qui s’installe et qui finit par lasser. Par contre, si l’intention était tout de même d’écouter l’album de bout en bout, cela a marché pour moi. À l’instar de Saudade de Green Montana, un de mes albums préférés de l’année dernière, cette simplicité volontaire frappe exactement là où il faut, et, malgré les redites dans les rythmiques de certaines prods, la qualité demeure au rendez-vous, car ces sonorités lisses et nocturnes font leur effet.
Et oui, cette ambiance nocturne passe même par les détours du cyberpunk (oui, j’ai totalement fait le rapprochement de manière arbitraire) : Night City semble tout droit sortie des univers de Laylow ou de Wit., tout comme Michel-Ange. Tous deux se démarquent grâce à une ambiance futuriste maîtrisée et qui impressionne. Je note d’ailleurs l’apparition d’Esso Luxueux, celui-ci ayant également participé avec Jazzy Bazz lui-même et EDGE, autre rappeur de l’Entourage, à l’album commun Private Club en 2021. Sur le titre Paris, TX, donc, on retrouve cette énergie sensuelle qui figurait sur l’album tout juste nommé, le tout avec la voix veloutée d’Esso (petite note de l’autrice : si vous aimez les morceaux dans cette veine, foncez écouter le dernier projet d’Esso Luxueux, Liaisons Dangereuses, sorti il y a trois ans). Le dernier morceau du disque, Souviens-toi, nous gâte aussi avec l’apparition de Tuerie, maître dans l’art de rajouter une touche soul à tout ce qu’il entreprend.
On peut reprocher à Jazzy Bazz un certain manque de diversification dans l’écriture, une répétition dans ses flows, ou même une redondance dans son univers artistique. Pourtant, je me surprends à avoir assez d’affection pour ce disque. Est-ce un produit parfait? Loin de là, mais c’est le genre de projet qui me trotte dans la tête en mode : « Tiens, j’ai bien envie de me mettre dans cette ambiance ce soir. » Alors, en soi, le nirvana qu’on atteint n’en est pas un de sensations fortes et d’intensité, mais plutôt de sérénité, de calme et de confort. Et ça, ça fait du bien aussi.