Critiques

Hala

Red Herring

  • Cinematic Music Group
  • 2020
  • 36 minutes
7,5

Crinière de chevalier à la nuque fournie, belle gueule traversée d’un sourire de Joker et physique de journaliste qui fume des cigarettes roulées à la chaîne, voûté au-dessus d’une Remington sans âge, en la faisant cliqueter frénétiquement. Hala a tout du singer-songwriter poète intellectuel. Et c’est très bien comme ça. Le paysage musical à grand besoin de ce genre de loustic ces derniers temps (promis, je ne sombrerai pas dans l’analyse sociologique, mais ce devait être dit).

Le jeune Ian Ruhala (oui, d’où le nom de scène), fit son premier enregistrement au tendre âge de huit ans. Forcément anecdotique, mais pas anodin. Des 2014, il commence à fournir un flot constant de chansons et d’albums sur Bandcamp. Si les premiers opus sont à 300% bricolés et un peu bancals (mais dans le bon sens du terme, genre indie-pop je-m’en-foutiste à la Mac DeMarco), le son s’affine rapidement et dès 2015 on a affaire un une musique plus affirmée.

Sur ses deux premiers (vrais) albums donc (Young Alumni et Spoonfed), étant solide multi-instrumentiste, Hala enregistre tout lui-même. Pour ce troisième LP à la pochette d’un rouge de boudoir, baptisé Red Herring. Il délaisse la Motor City, charge les instruments dans le coffre de la DeLoreane et s’en va enregistrer au légendaire Bear Creek Studio, de l’autre côté du continent (ou enregistrèrent notamment The Strokes).  Le tout sous la houlette de Ryan Hadlock, propriétaire du fameux studio et producteur de groupes (non moins fameux), comme The Lumineers ou Gossip.

Bref, avec Red Herring, Hala entre dans la cour des grands !

Il se dégage de la musique du Détroitien une sorte de mélancolie douce-amère, le genre de celle que l’on éprouve lorsqu’on regarde de vieilles photos dont la couleur s’est voilée et dont le papier s’est gondolé (pour ceux qui ont moins de 20 ans, je vous parle d’un temps que vous ne pouvez pas connaître, et vous ne voyez pas du tout ce que je veux dire … en gros, c’est comme quand tu mets un filtre sur instagram).

C’est encore une pop désuète, à la fois nostalgique et optimiste où se mélangent les styles musicaux d’une façon parfois étonnante, mais pas ridicule. C’est très certainement la force de la musique du chanteur. Parvenir à sauter d’une décennie à l’autre sans compromettre la cohérence de l’ensemble.

En ceci, il est vraiment un pur produit de son époque, un « zappeur » qui prend ce qu’il trouve d’intéressant dans une myriade de genres musicaux (ce qu’il déclarait d’ailleurs en interview, il y a à peine deux semaines, au magazine American Songwriter).

Il y a les nuances de la pop moderne avec par ordre d’apparition : Turn Out Right, qui s’inscrit dans la même démarche que les Anglais de Blossoms. Making Me Nervous en mode lounge pop aux inflexions jazz du piano ondulant ou Why Do You Want Anything To Do With Me, candide comme une bluette romantique des 90’s, avec sa mélodie innocente.

Des variations sur le thème de l’Americana: vielle country chaloupée avec une basse qui se dandine (Camera). Valse embrumée et minimaliste, avec la ritournelle romantique We Can Start Again (sur laquelle figure une guitare rythmique rocailleuse que n’auraient pas reniée les frères Davies). Ou encore la chanson éponyme de l’album avec son riff southern rockbqui fait penser à quelques titres hédonistes des Canadiens de The Sheepdogs.

Hala est principalement guitariste et cela s’entend dans l’approche garage rock de cet instrument : comme les très stroksiennes, Somehow et With You Now ou la sautillante No-Body Knows qui rappelle les meilleures sorties de Weezer. Chanson sur laquelle il démontre aussi un vrai talent d’arrangeur pour les voix.

Des accents folk rock avec Lies, à la batterie très efficace, et la voix qui fait penser à celle du troubadour britannique Jake Bugg, puis une guitare très R&B Motown. Et nerd folk aérien avec True Colors.

Le jazz s’incruste çà et là avec des textures et suites d’accords qui titillent l’oreille, des intervalles de basse qui interpellent ou l’approche très expérimentale de certaines boucles sonores. Si bien qu’on a parfois l’impression de s’asseoir dans une machine à remonter le temps.

M’est avis que le jeune homme à un bel avenir devant lui. Multi-instrumentiste, arrangeur pas manchot (à part les cordes, il aurait tout fait sur ce disque), une voix dont certes, le timbre et la hauteur sont assez commune dans le style, mais qui fonctionne indéniablement.

Pronostic ? Un label important va découvrir sa musique, lui faire un petit look bariolé comme celui que les kids arborent aujourd’hui et dans deux-trois ans, il sera tout en haut des charts. Avec d’autres groupes appartenant à cette nouvelle scène rock bien pop qui se dessine. Proposant une musique moins intransigeante, moins rugueuse. Mais très mélodieuse, et qui puise plus volontiers dans la période androgyne et binaire de la new-wave, que celle sexuée et lascive du rock 60’s, imbibée de rhythm’n blues.