Critiques

Grouper

Shade

  • Kranky
  • 2021
  • 39 minutes
7,5

Depuis plus de quinze ans, Liz Harris, alias Grouper, privilégie les sonorités ambiantes, sombres et remplies de vulnérabilité. Indépendante jusqu’au bout des ongles — rien à voir avec ce terme surutilisé et falsifié nommé « indie » —, elle est également une artiste visuelle accomplie. En 2018, elle nous proposait l’excellent Grid of Points ; un long format basé sur les échos de sa voix et les réverbérations d’un piano.

Elle est de retour avec un douzième album en carrière intitulé Shade. Harris a rassemblé des chansons inachevées, écrites et composées au cours des quinze dernières années. Ces pièces contemplatives, inspirées par les paysages de la côte ouest-américaine, cartographient les souvenirs et les expériences qu’elle a vécues dans ces lieux. Plusieurs d’entre elles ont été enregistrées dans le cadre d’une résidence de création, en mode esseulée, sur le mont Tamalpais (Californie). D’autres ont été captées à Portland, il y a longtemps, et certaines, plus récentes, proviennent de sessions d’enregistrement réalisées à Astoria (Oregon).

Harris a laissé mûrir ces chansons pendant plusieurs années avant de trouver un fil conducteur pertinent entre elles. Profondément humain, et d’une imperfection émouvante, Shade unifie des morceaux volontairement brouillons à des chansons aériennes et dépouillées. Les moments distordus remémorent discrètement le déroutant Double Negative de la formation Low.

En fait, Grouper nous propose deux pièces inspirées par la profondeur des océans :  Followed the Ocean et Disordered Mind. Unclean Mind, Ode to the Blue, Pale Interior et Promise sont pour leur part des chansons acoustiques dégarnies d’artifices. Dans ce même registre, Harris nous présente également The Way Her Hair Falls ; pièce dans laquelle elle arrête quelques fois en plein milieu de sa performance, comme si elle tentait de trouver une conclusion à ce qui est vraisemblablement une improvisation. L’intérêt de nous offrir ce court moment compositionnel réside probablement dans le désir de Harris de manifester une certaine transparence à l’égard de son processus créatif.

Shade se conclut avec deux pièces comblant le tiers de l’album en matière de durée. La prise de son lointaine et les notes éparses de Basement Mix nous préparent à une conclusion qui nous raccompagne vers l’intelligibilité d’Unclean Mind. Avec Kelso (Blue Sky), Harris rend un vibrant hommage aux magnifiques panoramas qui longent les côtes de l’état de Washington et celui de l’Oregon :

Alone on the road at night
Calling the white fog rising up
To consume me

Guess I’m halfway home
Can’t wait to be there
Can’t wait to be alone
I’m nearly to the coast

– Kelso (Blue Sky)

Aux premières écoutes, tous ces fragments chansonniers donnent l’impression d’une œuvre inachevée et bâclée. Au fil des auditions, Harris réussit à toucher nos cœurs et c’est l’incontestable sincérité de sa démarche, qui évite toutes formes d’insignifiances, qui émeut.

Inscription à l’infolettre

Ne manquez pas les dernières nouvelles!

Abonnez-vous à l’infolettre du Canal Auditif pour tout savoir de l’actualité musicale, découvrir vos nouveaux albums préférés et revivre les concerts de la veille.