Grandaddy
Blu Wav
- Dangerbirds Records
- 2024
- 44 minutes
Le groupe californien Grandaddy a été aux premières loges de la grande vague indie de la fin des années 90 et du début des années 2000. Après une dormance de plus de dix ans entrecoupée de quelques tournées, la formation a refait surface en 2017 avec le fort respectable Last Place. Sept ans plus tard, voilà qu’elle remet ça avec le discret Blu Wav, un album axé sur les ballades qui manque un peu d’ambition.
La signature sonore de Grandaddy a toujours été immédiatement reconnaissable. Ça tient en grande partie au timbre de voix chaleureux et délicat du chanteur et principal auteur-compositeur Jason Lytle, mais aussi à ces progressions harmoniques typiques du groupe, capable de transmettre des émotions nuancées par un simple changement d’accord. Oui, c’est devenu une recette au fil des années, mais dont on ne s’est jamais lassé, étant donné les longues périodes d’attente entre chaque parution.
Il y a encore de cette touchante mélancolie sur Blu Wav, surtout que l’accent est mis presque exclusivement sur les ballades planantes, ce qui permet à Lytle et ses acolytes d’exprimer leurs questionnements existentiels nappés de touches d’humour noir, avec des chansons comme You’re Going to Be Fine and I’m Going to Hell ou Cabin in My Mind. Sur Watercooler, Lytle est un fantôme qui hante les couloirs d’un immeuble à bureaux, témoin privilégié des joies et des angoisses de ses travailleurs :
And you cry in the bathroom stall
– Watercooler
’Cause I won’t call, although I know you’re hurt
And you cry in the bathroom stall
’Cause I don’t call, it’s not what you deserve
La principale qualité de Blu Wav est le fait qu’il est porté par une esthétique musicale qui le distingue des autres albums de Grandaddy, avec une grande influence country qui se manifeste à grands coups de guitare pedal steel. Lytle a d’ailleurs affirmé s’être laissé inspirer par la musique de Patti Page pour l’écriture de ces nouvelles chansons, tandis qu’il se promenait en voiture sur les routes désertiques de la Californie ou du Nevada voisin. Ça donne parfois de très beaux moments, notamment sur la touchante Nothin’ to Lose, typiquement Grandaddy-esque dans son refrain aérien et portée par un doux mélange de guitares country et de synthés du type futuristes.
L’influence country se ressent aussi dans le travail sur le plan des textures de guitare, particulièrement réussies sur cet album grâce surtout à la présence de Jim Fairchild (Modest Mouse), véritable héros de l’ombre sur Blu Wav. Son jeu tout en subtilité et en nuance sur un titre comme Long as I’m Not the One n’est pas sans rappeler Wilco ou Calexico. Il y est d’ailleurs pour beaucoup dans l’aspect chaleureux et doucement mélancolique de ce nouveau disque, et rarement a-t-il autant excellé dans ce domaine.
Par contre, il y a également un défaut à cette quête d’une esthétique country-folk qui traverse chaque morceau puisque ça rend le jeu d’ensemble très homogène. Bien sûr, la signature sonore de Grandaddy reste présente, mais il n’y a pas de morceaux plus accrocheurs à la A.M. 180 (du classique Under the Western Freeway, 1997) ou encore Chek Injin (du précédent Last Place) pour nous sortir de notre torpeur. Il y a bien ces interludes de synthés qui semblent sortis du plus récent projet solo de Lytle paru en 2019 (titré Arthur King Presents Jason Lytle : NYLONANDJUNO), mais on ne peut pas dire que le combo folk-ambient fonctionne particulièrement bien.
Évidemment, Blu Wav demeure un album tout à fait plaisant à l’oreille, et son côté un peu douillet atteint tout à fait la cible. Mais ça demeure un disque qui reste en surface, comme si le groupe s’était satisfait de peu. Cela dit, le simple fait que nous ayons un nouveau Grandaddy à nous mettre sous la dent est déjà un cadeau en soi. En 2017, la formation avait annulé tous ses spectacles après le décès de son bassiste Kevin Garcia et on pouvait se demander si ce drame n’allait pas sonner le glas du projet. Or, Lytle a retrouvé l’inspiration (modeste, certes) et on ne peut que s’en réjouir.