Critiques

Ghost

Prequelle

  • Loma Vista Recordings
  • 2018
  • 51 minutes
5

Qui se rappelle encore de Ghost B. C.? Moi, je me souviens parfaitement du moment où j’ai entendu / été flabergasté par Opus Eponymous pour la première fois. Le mélange satiriquement satanique de vieux black, de thrash et de gospel pop super lo-fi est pour moi un bijoux de formalisme en plus d’une perle compositionnelle. Une des notes parfaites que j’aurais donné à un album.

Esthétiquement, Ghost a suivi son premier album avec un vecteur des plus intéressants, soit celui de la succession hérétique des Papa Emeritus (que LP résume assez bien dans cet article sur le jeu de l’anonymat de Tobias Forge). Le toute donne une impression d’évolution temporelle très claire, avec P. E. I, probablement gourou d’une petite secte — d’où la cathédrale solitaire sur le premier album —, succédé par P. E. II dans des temps plus urbains et muni d’une influence grandissante, et ensuite par P. E. III avec Meliora, chef maintenant d’une grande communauté religieuse oeuvrant autour du 20esiècle. Avec Prequelle, le Cardinal Copia me semble être l’incarnation d’une église mafieuse, capitaliste et corrompante pour la jeunesse, laissant croire que l’esthétique Ghost a rattrapé des temps récents. Leur église est plus influente que jamais, et ça se transpose dans leur musique qui a lentement glissé du psych obscure à l’arena rock grandiose, qui constitue une grande part stylistique du dernier album, mais qui était tout de même présente dans Meliora avec He is, par exemple. La pochette reflète d’ailleurs le pinacle de cet empire imposant.

Je dis le pinacle, parce que j’ai peine à croire que Ghost puissent continuer dans cette optique très longtemps. Je peux comprendre que l’histoire extramusicale obligeait l’esthétique de Prequelle à être grandiose, mais quand j’écoute l’album pour ce qu’il est, je n’entends pas que du Kiss ou du Avenged Sevenfold. J’entends aussi beaucoup, beaucoup moins de Ghost. La raison pour ceci est toute simple : ce n’est pas Tobias Forge qui composait la musique du groupe. Un des « nameless ghouls » l’a dit dans une entrevue; pas surprenant, donc, que j’aie souvent l’impression au cours de l’album que Ghost n’est plus qu’un pastiche de lui-même. La majorité des riffs sont du soit du remâché des derniers albums, soit des pastiches assez boboches de mégagroupes comme Kiss, A7X, Twisted Sister ou Aerosmith. Ils vont jusqu’à citer Beat It dans Miasma, et le refrain de Dance Macabre me fait vraiment penser à Rock & Roll All Nite… La voix de Forge est la dernière signature inchangée de l’ancien Ghost, et bien qu’elle soit javellisée à souhait dans beaucoup de pièces, elle a de magnifiques moments, comme le refrain de Rats qui est TELLEMENT catchy (même si une des parties me fortement penser au couplet de Year Zero).

Pour moi, le jeu est poussé trop loin sur cet album. Je trouve le même sentiment qu’avec le dernier John Maus; il faut avoir le vieux Ghost en référence pour que celui-ci ne sonne pas comme des covers joués par Guitar Pro — parce que le son est une autre partie complètement décédée du groupe suédois. Ce genre de trucs, pour moi, ça fonctionne pas. L’album est incapable de me faire penser à du vieux, vrai Ghost, et pour les guerriers de l’analyse je recenserai plus bas toutes les parties de leur son et de leur composition qui sont parties avec les membres originaux. Le tout est trop cheesy à mon goût, et disons-le, le groupe a toujours adroitement joué autour du kitsch; c’est donc là une autre grande déception. C’est pas qu’il n’y a plus de belles trouvailles, mais bien qu’elles sont traitées comme n’importe quel autre groupe oubliable les traiterait. Les progressions d’accords et les mélodies sont beaucoup moins authentiques qu’avant (il y avait vraiment des trucs bizarres dans les trois premiers albums, je vous laisse chercher). Faith et See The Light sont littéralement juste du A7X avec une micro twist. Même les paroles sont rendues faciles et inauthentiques :

Lucifer, whispering silently into your mind

Who walks behind

[…]

Don’t you forget about dying

Don’t you forget about your friend death

Don’t you forget that you will die

– Pro Memoria

J’espère que je suis pas le seul à voir que ceci est un flagrant manque d’inspiration. J’veux dire, j’ai même pas cherché, j’ai juste pris les premières lignes de la première pièce d’Opus Emponymous :

Lucifer

We Are Here

For Your Praise

Evil One

Our Conjuration Sings Infernal Psalms

And Smear The Smudge In Bleeding Palms

Siamo Con Clavi

Siamo Con Dio

Siamo Con Il Nostro Dio Scuro

– Con Clavi Con Dio

Quelqu’un quelque part s’est dit « let’s go, on met des « Lucifer » partout, ça vas passer comme dans du beurre ». Eh bien, autant j’ai adoré Ghost, autant penser à Tobias Forge me répugne aujourd’hui. Il a transformé le groupe de la façon la moins intègre possible artistiquement, du même coup détruisant un des groupes les plus originaux et intelligents oeuvrant dans le métal.

     Voici comme promis une brève analyse des éléments perdus dans les limbes de l’église Emeritienne ainsi que de ceux qui semblent avoir été appliqués artificiellement à cet album. Gardez en tête qu’une grande partie des membres ont passés au moins une année à jouer les pièces originales de Ghost, expliquant assez bien certaines ressemblances :

     – Les solos de guitare ainsi que les mélodies chromatiques que l’on retrouve entre autres dans les solos de la majorité des solos des trois premiers albums, le riff de Elizabeth, Satan Prayer, tout Infestissumam sauf les 6, 7 et 8epistes, et tout Meliora, la mélodie vocale d’Elizabeth, Satan Prayer, Death Knell, virtuellement tout Infestissumam, et les trois quarts de Meliora. Tous les solos (à l’exception d’un ♭VI dans Miasma), tous les riffs (à l’exception de celui de Faith…) et toutes les mélodies sont hautement tonales et/ou très peu chromatiques dans Prequelle.

     – Les mélodies catchy sont traitées comme dans n’importe quel groupe pop, c’est-à-dire qu’elles sont beaucoup trop répétées tout au long de l’album. Alors que dans les trois premiers albums, les refrains étaient réservés à deux (parfois trois) répétitions, Prequelle ne les répète jamais moins de trois fois, et vas jusqu’à quatre dans Rats, Dance Macabre et Pro Memoria.

     – La guitare solo ne fait plus de traits mélodiques allongés en octaves comme dans Con Clavi Con Dio, Ritual, Prime Mover, virtuellement tout Infestissumam, Majesty et Absolution. Dance Macabre est la seule à les utiliser, pendant très peu de temps d’ailleurs.

     – Les nouvelles parties de batterie sont convenues, probablement à cause du nouveau batteur. Il n’utilise plus la pédale de hi-hat la majorité du temps comme l’ancien batteur, et les « fills » dans Prequelle sont beaucoup moins originaux que tous ceux dans les trois derniers albums. Je ne citerai rien, n’écoutez que tout et vous verrez.

     – Ghost n’avait jamais fait d’intertextualité avant la reprise de Spöksonat dans Ashes et à la fin de Rats. C’est peut-être tiré par les cheveux, mais ça sonne à mes oreilles comme une échappatoire facile pour sonner comme Ghost

     – Le sax dans Miasma. On est loin.

     – On ne retrouve presque plus de doublures de la ligne de basse soit à l’octave ou à la quinte par les guitares. Ce procédé est utilisé dans presque toutes les pistes des trois premiers albums, et on ne le retrouve que dans Witch Image (parce que la basse est devenu presque invisible dans Prequelle; elle a perdu le rôle mélodique qu’elle avait avant, laissant croire que c’était peut-être le bassiste qui composait…)

Je pourrais bien entendu aller plus en profondeur encore, mais vous voyez le genre. Ghost nous a complètement glissé entre les doigts.

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