Critiques

Fucked Up

One Day

  • Merge Records
  • 2023
  • 40 minutes
7,5

La formation originaire de Toronto, menée par le guitariste-compositeur Mike Haliechuck et singularisée par le chanteur-hurleur Damian Abraham n’a vraiment plus besoin de présentation exhaustive. En remportant le prix Polaris, édition 2009, avec The Chemistry of Common Life, Fucked Up a ensuite concrétisé sa popularité avec la sortie de David Comes To Life (2011). Depuis ce temps, sans avoir égalé l’impact obtenu par ces deux longs formats, les Canadiens n’ont commis aucun ratage qui aurait pu plomber la qualité de leur discographie.

Parmi les récents bons coups du groupe, on note le virage indie rock parfaitement assumé de Glass Boy, un excellent disque paru en 2014. Quatre ans plus tard, Fucked Up revenait à la charge Dose Your Dreams, une création qui s’est hissée dans quelques listes des meilleurs albums de 2018.

Le quintette « alterno-punk » est donc de retour avec un 6e album en carrière intitulé One Day. Les férus de la formation savent très bien que celle-ci est friande d’albums-concepts qui dépassent souvent l’heure d’écoute. Or, cette fois-ci, Fucked Up garde les choses simples.

Écrites et composées par Mike Haliechuck, les chansons de ce nouvel opus ont été finalisées en 24 heures bien tassées. Le maestro a même imposé cette règle aux autres membres du groupe qui n’ont eu qu’une seule journée pour enregistrer leurs pistes respectives, eux aussi.

Cette démarche a contraint la formation à simplifier ses chansons, misant plus que jamais sur l’énergie brute et l’urgence du message qu’elle avait à transmettre. Sans retrouver parfaitement la catharsis de leurs débuts, le groupe fait de nouveau la démonstration qu’il est loin d’avoir perdu la main.

Ponctuée de riffs matraques du début à la fin, cette production met de l’avant des textes engagés qui ne versent jamais dans le prêchi-prêcha, leur conférant ainsi une forte crédibilité.

Dans Found, c’est le colonialisme canadien qui est évoqué par Fucked Up. Le quintette reproche à tous ces gouvernements qui se sont succédé au cours des trente dernières années de n’avoir rien fait de concret pour réparer les abus perpétrés auprès des communautés autochtones, entre autres. L’auteur de ces lignes rappelle que la Loi sur les Indiens existe toujours… Une aberration.

I stood on a shore of a story we didn’t tell anyone

All the names were erased

Buried under a land that my people stole

– Found

Dans Lords of Kensington, sur une musique remémorant le Sonic Youth de l’album Daydream Nation, c’est l’embourgeoisement accéléré de ce quartier torontois qui est mis sur la sellette. L’émouvante Cicada fait référence à tous ces amis disparus qui gravitaient depuis de nombreuses années autour du groupe; une pièce qui rappelle le meilleur d’Hüsker Dü. La conclusive et explosive Roar, elle, porte sur l’inévitabilité de transmettre ses tares et ses traumas à la génération suivante.

D’autres morceaux sont également d’une efficacité redoutable. L’ascendant glam rock entendu dans I Think I Might Be Weird étonne favorablement. Nothing’s Immortal émeut grâce à son refrain cathartique et Broken Little Boys remémore le meilleur du rock prolétaire de Titus Andronicus.

One Day est donc une palpitante réflexion portant sur l’embourgeoisement, sur le deuil, sur le temps qui passe trop vite et qui coïncide bien souvent avec l’arrivée de l’âge mûr. Ceux qui sont convertis depuis longtemps à la musique de Fucked Up seront de nouveau confortés, mais les visiteurs occasionnels pourraient rester un peu plus longtemps que prévu…