Il existe depuis plusieurs années une belle symbiose entre la scène musicale d’avant-garde et la danse contemporaine. Récemment, la violoniste Sarah Neufeld lançait un nouvel album inspiré par son travail avec la chorégraphe Peggy Baker. Et voici que le groupe montréalais Fly Pan Am fait de même avec son nouvel album Frontera, issu de sa collaboration avec Dana Gingras et la troupe Animals of Distinction.

Ce n’est pas la première fois que la chorégraphe Dana Gingras s’associe à un groupe de la scène expérimentale montréalaise. En 2005, elle avait créé avec Noam Gagnon et la troupe Holy Body Tattoo le spectacle monumental en utilisant la musique de Godspeed You! Black Emperor. Dans sa première mouture, le spectacle utilisait des versions enregistrées des chansons du groupe, provenant surtout de l’album F#A#∞. Mais en 2016, lors de la deuxième incarnation du spectacle, le groupe a accompagné la troupe en tournée, avec entre autres deux spectacles à la Place-des-Arts.

Comme pour cette deuxième version de monumental, Dana Gingras a opté pour la présence de Fly Pan Am sur scène avec les danseurs afin de conférer davantage de puissance et d’impact au spectacle Frontera, qui explorait la notion de surveillance dans le contexte de la montée du nationalisme un peu partout dans le monde, et alors que les outils de collecte de données personnelles se multiplient. Si j’ai eu le privilège de voir monumental sur scène en 2016, je n’ai pas eu la même chance avec Frontera, si bien que mon expérience du disque se limite à la musique en elle-même.

Le défi d’un album comme Frontera est justement d’arriver à transcender son rôle de musique d’accompagnement pour offrir une expérience complète aux auditeurs, une qui ne soit pas dépendante du support scénique. Fly Pan Am a d’ailleurs mis toutes les chances de son côté en faisant équipe avec Radwan Moumneh (Jerusalem In My Heart) à la console, comme pour l’excellent C’est ça, paru en 2019 et qui marquait le retour sur disque du groupe après une absence d’une quinzaine d’années.

L’album alterne entre des morceaux à la rythmique hypnotique (Grid / Wall, Parkour, Parkour 2) et d’autres de facture plus ambiante mettant de l’avant les synthétiseurs (Scanner, Scaling, Body Pressure). Les pièces les plus rythmées s’avèrent les plus intéressantes grâce entre autres au jeu du batteur Félix Morel (précis tel une montre suisse) et à la basse vrombissante de Jean-Sébastien Truchy. L’influence de CAN est palpable, notamment sur un titre comme Frontier, mais avec un côté plus mécanique dans la livraison, peut-être pour exprimer l’idée de surveillance en tant que concept complètement intégré dans nos vies, que ce soit par le biais de nos téléphones ou par l’omniprésence de caméras, et qui font qu’on ne la remarque même plus.

Par rapport aux albums précédents de Fly Pan Am, Frontera mise davantage sur le pouvoir des textures plutôt que sur le côté éclectique de la musique du groupe. Par moments, les guitares de Jonathan Parant se rapprochent de l’esthétique shoegaze et ça fonctionne très bien, tandis que les claviers de Roger Tellier-Craig évoquent la musique minimaliste, sans oublier les échantillonnages, dont un chœur sur l’intense Parkour 2. En revanche, on y perd un peu le caractère distinct du groupe, cet habile mélange entre culture pop et musique expérimentale. Même le chant guttural de Truchy, un des traits caractéristiques du quatuor, n’intervient qu’une fois.

Il est évident que Fly Pan Am a voulu traiter Frontera comme une trame sonore. Les pièces sont présentées dans le même ordre que sur scène, et tout le support visuel du disque est issu du spectacle. Rien d’étonnant donc à ce que le groupe ait voulu mettre sa musique au service du concept, quitte à sacrifier un peu de sa signature sonore. Ça reste un album qui se tient bien tout seul, malgré une certaine uniformité.