Critiques

Floating Points

Crush

  • Ninja Tunes Records
  • 2019
  • 45 minutes
8
Le meilleur de lca

Floating Points est le projet solo du Britannique Sam Shepherd, qui est apparu sur la scène électro il y a une dizaine d’années avec Vacuum EP, un maxi monté comme un jam de musique house. Rendu à son premier album Elaenia (2015), Shepherd avait bien évolué sur le plan esthétique et, bien que la house soit encore présente, on y trouvait plus de subtilité dans les séquences rythmiques et de raffinement dans la conception sonore, ajoutant de l’IDM et du nu jazz à sa palette stylistique. Reflections : Mojave Desert (2017) marquait une pause à la sauce house, passant à une atmosphère complètement ouverte de band live qui performe dans le Joshua Tree National Park, occasion de mettre plus d’emphase sur une forme post-rock qu’électronique. Shepherd était de retour en octobre avec son troisième album, Crush, et une rencontre d’une beauté étonnante entre un homme et son Buchla (une marque fabuleuse de synthétiseur analogique), un ensemble à corde et d’autres instruments acoustiques.

Falaise prend place tout doucement en bois, cordes et cuivres, créant une superbe masse mélodique qui pivote entre les notes continues et itératives, s’intensifiant comme un tourbillon harmonique jusqu’à un point culminant qui simule le vertige. Last Bloom rebondit d’abord dans les basses, passant à une forme IDM bien rythmée qui réverbère clairement, comme sur des murs de béton. La superposition des synthétiseurs est très réussie et génère un effet d’entraînement qui n’est pas tout à fait clair au début, mais qui le devient progressivement. Anasickmodular penche du côté techno lounge avec sa boucle rythmique colorée d’une trame vaporeuse dissonante, c’est très relaxant jusqu’à ce que le volume d’un son de trompette synthétique devienne particulièrement fort. Heureusement, la montée retombe dans une séquence rythmique épurée, qui fait réaliser à quel point c’était devenu strident. Requiem for CS70 and Strings se déploie comme une ballade de musique de chambre, ou un extrait de concerto dont le soliste est un synthétiseur Yamaha CS70. La mélodie est très jolie, en lien avec le thème légèrement mélancolique et nostalgique.

Karakul apparaît en une suite de vagues qui se terminent sur un impact sec réverbéré, ponctué par une suite d’itérations et d’ondulations synthétiques. Le montage est précis et gracieux, contrastant les courbes lentes avec les granules abrasives. LesAlpx revient à une forme techno très entraînante, avec la basse qui rebondit sous les percussions, servant de moteur à la trame mélodique brumeuse. La composition est bien pensée, mais on perd un peu le sens du phrasé à cause de l’épaisse masse rythmique qui ne se renouvelle pas tant. Bias coupe ça avec un cuivre numérique mélancolique et un clavier inquiétant, comme une trame sonore de film étrange à la John Carpenter. Étonnement, le mouvement transite vers un rythme big beat des années 90 placé en duo avec le cuivre du début, ça prend un moment avant que la mélodie revienne en fondu enchaîné. Environments se courbe d’abord comme une mélodie au thérémine, supporté ensuite par un petit rythme IDM et un clavier réverbéré placé dans le fond de la pièce. Ça s’intensifie au niveau de la saturation et de la dissonance, donnant surtout l’impression que le volume a été augmenté.

Birth ouvre comme une pièce au piano, mais jouée sur un synthétiseur analogique, accentuant certains segments avec des effets, mais restant délicat et linéaire dans son articulation. Sea-Watch continue dans la lenteur plus contemplative, reprenant le clavier mélodique comme soliste à l’ensemble acoustique. Le thème fait penser à du néo-classique japonais, façon film d’animation de Miyazaki, légèrement sali par de la distorsion, le résultat est absolument magnifique. Apoptose Pt1 fait suite dans le même registre, cette fois-ci accompagnée de percussions nerveuses, comme si elles avaient hâte de briser la douceur de la mélodie, l’effet est particulièrement efficace. Apoptose Pt2 continue rythmiquement, un peu comme un jam percussif de boîte à rythmes qui a réussi à prendre le dessus.

Crush laisse une première impression d’être le meilleur de ce que Floating Points compose, alliant l’articulation réfléchie du premier album avec la spontanéité du deuxième, et ajoutant surtout de l’air à la musique, cet espace abstrait qui permet aux instruments acoustiques de respirer. Shepherd a trouvé un équilibre qui met à peu près tout en valeur, faisant ressortir des détails qui n’étaient pas là avant, des articulations et des textures qui ont gagné en clarté. À cela s’ajoutent les jolis thèmes musicaux, bien contrastés entre la trame délicate et la piste dansante.

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