Father John Misty
Mahashmashana
- Sub Pop Records
- 2024
- 50 minutes
Aujourd’hui, on s’attaque à un gros morceau, aussi figurativement que littéralement parlant. Father John Misty (a.k.a Joshua Tillman), artiste à plusieurs facettes, mais surtout, homme de plusieurs mots. Chansonnier, chanteur, slameur, poète, il sait manier et faire valser les mots de manière intelligente et évocatrice. Musicalement parlant, difficile de le placer dans une case. De I Love You, Honeybear à Pure Comedy en passant par Chloë and the Next 20th Century, il ne cesse de se renouveler de manière pertinente et juste. Je me remémore ce morceau de la carrière solo de Mike Shinoda (à savoir I.O.U) où il clamait : « Father like Francis, Anakin and John Misty. » Car oui, il a résolument sa place parmi les grands. Bref, c’est ainsi qu’il nous revient avec Mahashmashana (mot sanskrit qui signifie « grand lieu de crémation »), son nouvel album, et cette fois, comment a-t-il pu trouver un moyen de nous surprendre?
Le morceau éponyme, qui est également la première piste de l’album, bluffe complètement. Au-delà d’être une chanson, c’est une véritable odyssée, une symphonie. En neuf minutes, on ressent un éventail complet d’émotions fortes, mais avant tout, nous avons droit à un instant suspendu dans le temps. Dans un premier temps vient l’émerveillement, puis vient la réalisation : ‘Ben là, si ça, ce n’est que le début, à quoi va ressembler la suite?’ Rassurez-vous, la réponse vient d’elle-même avec la piste suivante, She Cleans Up, un autre coup fort à l’orée entre le rock des années 60 et l’écriture acérée des artistes folk, genre auquel Father John Misty est si familier. Entraînante, satirique, parfois même effrayante et douloureusement prophétique (« Sure, your politics are perfect with the gun against your head »), c’est un morceau qui, au-delà d’être dense, nous donne envie d’y revenir, encore et encore.
L’album nous livre une foule d’ambiances qui gardent de bout en bout une cohérence adéquate et toujours à propos. En effet, Josh Tillman and the Accidental Dose, même si plus calme, ne nous laisse pas véritablement du temps pour respirer : en effet, c’est un morceau comportant des thématiques de désillusion, enrobées de cynisme et dénuées d’espoir : « You may never be whole again », nous prévient-il. En fait, même dans ses moments les plus sages, Mahashmashana est plein de vivacité. Plus loin, nous avons aussi un autre long morceau chargé d’émotions fortes : Screamland. Presque six minutes, pas une seule perdue dans le néant. À l’image de son titre, c’est une piste qui nous invite à extérioriser nos maux intérieurs en les laissant s’échapper de nous, sans concessions pour qui que ce soit autour.
Sur cet album, Tillman se veut résolument plus rock, mais, comme mentionné plus tôt, il ne délaisse pas moins ses sonorités plus épurées et minimalistes, sans pour autant qu’elles perdent de leur superbe. Mental Health, par exemple, allie les violons veloutés avec une rythmique qui parvient à faire bercer l’auditeur. On peut même entendre une petite flûte se glisser dans le mélange, jolie et apaisante, comme un baume sur le cœur. Dans le même créneau, Summer’s Gone met en valeur un simple piano, mais nous amène dans un monde magique et apaisant, là où, malgré la fin de quelque chose, un autre chapitre de la vie commence également. On se croirait sur la barque dans La Petite Sirène pendant que ce bon vieux Sébastien nous joue sa musique dans le marais.
Mahashmashana est donc un projet qui se veut plus grand que nature, même dans ses moments les plus doux et acoustiques. C’est une tentative de Tillman de donner à ses écrits un support musical de qualité qui ne cesse de faire mouche. À mes yeux, nous avons là un des albums les plus émotionnellement satisfaisants de l’année : ici, rien n’a été fait en demi-teinte, et chaque morceau a été amené à son paroxysme afin qu’il puisse vivre une vie entière le temps de quelques minutes. Au final, peut-être que cet album est la bande-son d’une apocalypse et que la dernière chose que nous entendrions serait une symphonie d’une ambition impressionnante. Je réitère : oui, Father John Misty mérite effectivement sa place parmi les grands.