Critiques

Ensemble ILÉA

Post.Variations

  • Cuchabata Records
  • 2019
  • 34 minutes
8
Le meilleur de lca

L’Ensemble ILÉA (Improvisation Libre Électro-Acoustique) a été fondé en 2016 par l’artiste montréalais Kevin Gironnay. La particularité du collectif est que le nombre de musiciens change d’une collaboration à l’autre selon ce qu’il y a à improviser, variant également sur le nombre d’instruments acoustiques et d’équipements électroniques. En parallèle à ces collaborations, l’ensemble a publié deux albums, L’Étoile Absinthe (2017) et Multi.Cosmes (2018) et a offert depuis sa fondation une série de concerts tout aussi uniques les uns des autres. Le collectif était de retour cet automne en formule à onze musiciens, avec leur troisième album Post.Variations, une musique durant laquelle absolument tout peut arriver. Heureusement, il y a un très bel équilibre entre l’inattendu et l’anticipé, les bruits et trames électros d’une part; les inspirations jazz et musique actuelle d’autre part, qui se solde en une richesse sonore captivante.

Intro prend la forme d’une aspiration d’instruments qui mène à un saxophone, prenant le temps de respirer alors qu’une frénésie percussive se développe en parallèle, s’éparpille nerveusement dans le temps et cesse brusquement. Atmolysis se déploie bien plus doucement à l’aide du trio à vent formé de la clarinette basse, du saxophone et de la flûte. Le croisement des notes crée une ligne planante autour de laquelle oscillent les différentes résonances et dissonances. Ça devient progressivement souterrain, comme des échos de tunnel de métro, sombre et inquiétant, qui se maintiennent jusqu’à un dernier segment plus clair, près du sifflement, et qui se conclut en forme d’expiration. Jeux Ombragés reprend une partie de l’atmosphère de tunnel, mais passe par une cavité plus grande, une grotte dans laquelle les percussions établissent un rythme jazz très léger, occupé par une faune qui se chasse elle-même, multipliant les poursuites et les pirouettes jusqu’à un dernier souffle cuivré.

One And None vire du côté électronique avec sa trame oscillante passant comme un escadron aérien au-dessus d’une forêt, qui recommence à bouger sur fond de harpe et impulsions futuristes. L’élan mélodique prend de l’ampleur en notes soufflées et signaux radio trafiqués, créant un contraste agréable entre la matière électronique et acoustique. None And All ouvre de façon plus bruitée, guidée en partie par la harpe, celle-ci ponctuée par des échantillons étirés et réverbérés. On retrouve la froideur d’un souterrain aménagé dans une station spatiale dans laquelle les signaux de communications créent un orchestre de chambre sci-fi. La clarinette basse ouvre Inhabited Imperfections mélancoliquement, entourée d’un éboulement de bruits qui mène à un mouvement plus détendu, en équilibre entre les longues notes et la faune percussive. Outro replace momentanément les percussions à l’avant, montées comme un mécanisme qui cesse finalement de tourner, laissant les instruments à vent expirer la conclusion.

Avec un ensemble de sept instruments acoustiques et quatre stations électroniques, Post.Variations démontre une maîtrise impressionnante de la matière sonore employée dans chaque pièce. Ça mène à un équilibre entre tous les musiciens qui n’est pas évident à avoir en improvisation, surtout lorsque tout est possible. La qualité de la performance témoigne de la préparation avec laquelle les thèmes musicaux ont été abordés, et bien que ce soit conçu pour être écouté en concert, l’album permet d’apprécier des détails plus subtils qui ne se diffusent pas tout le temps comme on veut dans un lieu. Une très belle démonstration de chaos contrôlé.