Critiques

Daniel Romano

Okay Wow

  • You've Changed Records
  • 2020
  • 45 minutes
8
Le meilleur de lca

Daniel Romano, c’est le genre de type qui t’égrène trois accords sur sa guitare, te chante quatre notes d’une voix étriquée pas objectivement belle … mais qui te file des frissons, te fait venir la larmichette à l’œil (tant que ça a pas passé les paupières, ça compte pas comme pleurer, j’insiste), et te fais penser en ton for intérieur : « pu**** que c’est beau la musique ! ». Voilà. C’est tout le paradoxe de ce genre d’artiste. Gainsbourg chantait : « La beauté des laids se voit sans délai ». Visiblement, ce concept s’applique aussi à la musique. Une voix trop nette, et des changements d’accords compliqués. Fatigant. Pour ça, il y a le jazz. Ne venez pas nous affliger de vos modulations et vos huit accords par mesure à des tempos frénétiques. Le Canadien va à l’essentiel. La simplicité du cadre est au service du message, elle fait ressortir les subtilités de l’interprétation, les fragilités et imperfections du timbre. Un doigt de la main gauche se lève sur la touche de la guitare et une note vaporeuse s’incruste dans l’affaire. Une voix féminine ajoute un contre-chant quand l’envie lui en prend. Voilà. C’est toute la beauté de ce genre de musique.

Bon, c’est bien joli les hyperboles, mais parlons contexte.

L’adjectif prolifique définit bien l’homme. C’est bien simple, Daniel Romano est un stakhanoviste de l’album, un forçat de l’opus, un énervé du LP. Il a accouché de pas moins de huit œuvres depuis 2013. Il me semble que peu d’artistes peuvent se targuer d’en avoir fait autant. Rien que dans le mois de mars passé, il a dévoilé deux disques. L’un est largement passé sous silence, allez savoir pourquoi ? Toujours est-il qu’il est disponible sur Bandcamp. L’autre est un album live. C’est celui dont nous parlerons aujourd’hui.

Okay Wow a été enregistré durant une tournée en Scandinavie. C’est un album qui traverse la discographie fournie de l’artiste, et nous permet de faire le point sur celle-ci. De ses débuts en solo franchement country, à son retour vers 2016 (avec le disque Mosey), à un indie-rock mâtiné de country, blues et pop 60’s, le résultat de ce gombo musical, si on tentait de le résumer de la façon la plus ramassée qui soit, est un country-rock trempé dans le blues et la soul. À la première écoute, d’une traite, on pense à Big Brother and the Holding Company, Jefferson Airplane et autres hérauts du San Francisco Sound.

Son Outfit l’accompagne avec maestria. Une guitare lead diablement éloquente, qui balance des uppercuts avec les accords et crache la foudre avec les fills et soli (dès Toulouse). Une batterie rouleau-compresseur qui ne manque pas de vocabulaire (The Long Mirror of Time), mais sait faire preuve de délicatesse. Un orgue souvent discret, mais dont les nappes, parfois presque imperceptibles, sont indispensables. Et des harmonies vocales précises et étincelantes. La connivence des musiciens est époustouflante (Time Forgot to Change My Heart en particulier), à tel point qu’on croirait presque écouter un album studio. La filiation vocale avec le roi du folk est indéniable (si vous vous demandez de qui je parle, vous n’avez rien à faire ici …clin d’œil appuyé). Daniel Romano avait adopté à ses débuts un « crooning » inspiré de Lee Hazelwood, mais il est à mon sens plus pertinent dans cette voix très indie-rock aux splendides aspérités.

Il ne manque d’ailleurs pas de faire de grandes envolées vocales impétueuses (Turtle Doves), ou de pousser des hurlements perçants de jouvencelle (Toulouse) et dévoile par moment un vibrato agréable. On adorera ou on détestera le côté nasal du timbre, mais encore une fois, Romano s’inscrit dans la grande tradition des voix qui sont belles, précisément parce qu’elles ne le sont pas. Pensez à Tom Waits, Bruce Springsteen, Nick Cave. Cela dit, son timbre est instantanément identifiable, son interprétation non seulement très juste, mais aussi touchante et toujours extrêmement convaincante (la balade suave Roya en est un bel exemple).

Concernant le songwriting, l’auteur varie les ambiances. Les ballades comme Empty Husk et la saisissante What’s To Become Of The Meaning Of Love, (d’ailleurs plus efficace en acoustique si vous voulez mon avis). Les mid-tempos relâchés pour réfléchir sur le sens de la vie en regardant vers le lointain (Human Touch). Puis, différentes saveurs du rock, comme la tex-tex Time Forgot, la binaire et percutante When I Learned Your Name, le rockabilly lascif passé à la graisse à essieux titré Toulouse et le country-rock indie, Sucking The Old World Dry.

Un artiste sur lequel il faut donc garder une oreille attentive, tant pour ses textes sur l’amour et la vacuité de l’existence, que ses mélodies efficaces. Puis bien sûr, le Outfit, totalement maître de son jeu.

L’album est disponible sur Bandcamp et Spotify.

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