Critiques

Can

The Singles

  • Mute Records / Spoon Records
  • 2017
  • 79 minutes
7

Pionnière de la scène krautrock allemande, la formation Can fait partie des grands monuments de la musique d’avant-garde, et son influence se compare presque à celle qu’a pu avoir le Velvet Underground. Mais alors que le groupe est avant tout connu pour ses improvisations qui pouvaient s’étirer sur une face entière d’un vinyle, la compilation The Singles permet d’en découvrir un autre versant…

Le culte de Can a commencé à se construire en 1971 avec la sortie du génial Tago Mago, suivis des classiques Ege Bamyasi et Future Days, qui ont contribué à établir le groupe comme une référence en matière de musique expérimentale, tirant à la fois sur le psych-rock, le jazz et le funk. Mais alors que ses contemporains comme Pink Floyd poussaient leur démarche vers un rock plus cérébral, Can a toujours priorisé un certain minimalisme au lieu des constructions complexes du prog.

Avec ses 23 titres répartis sur deux CD ou trois vinyles, The Singles constitue une belle porte d’entrée pour découvrir l’univers du groupe formé en 1968 par le bassiste Holger Czukay, le claviériste Irmin Schmidt, le guitariste Michael Karoli et le batteur Jaki Liebezeit, et qui a connu essentiellement deux chanteurs : Malcolm Mooney et Damo Suzuki. Agencés ainsi, en ordre chronologique, ces morceaux montrent que les gars de Can n’ont jamais craint d’explorer des contrées nouvelles.

Ça semble incroyable aujourd’hui, mais le groupe a atteint le top 10 en Allemagne en 1972 avec la déroutante Spoon, un genre de transe que l’on croirait sortie d’un autre monde. Seul autre véritable succès commercial de Can, la chaotique I Want More est ici incluse avec sa face B de l’époque,… And More, qui sonne encore aussi avant-gardiste même 40 ans plus tard, avec son glam-funk indescriptible.

Une pièce comme Vitamin C (avec sa fameuse ligne « Hey you, you’re losing you’re losing you’re losing you’re losing your Vitamin C! ») semblera aussi familière aux oreilles des néophytes, qui l’auront entendue dans les films Inherent Vice (de Paul Thomas Anderson), Broken Embraces (de Pedro Almodovar) ou encore dans la télésérie The Get Down de Netflix. Des raretés satisferont également l’appétit des fans inconditionnels de la formation, dont l’entraînante Turtles Have Short Legs, avec ses paroles un peu débiles qui montrent le côté bouffon de Can

Mais d’autres titres apparaîtront comme une hérésie aux yeux des puristes. Ainsi, l’épique Halleluwah (du classique Tago Mago) passe de 18 minutes à trois minutes trente. Mais même réduite à sa plus simple expression, la pièce reste un vibrant témoignage de l’inventivité de Can au chapitre de la polyrythmie.

Oui, The Singles inclut des morceaux que même les membres du groupe voudraient oublier. On grince un peu des dents durant la version électro-bizarroïde du classique de Noël Silent Night. Et que dire du célèbre Can Can de Jacques Offenbach, apprêté ici à la sauce space-disco! On peut certes voir dans ces accidents de parcours le signe de musiciens en manque d’inspiration vers la fin des années 70, mais ils illustrent aussi à quel point leur terrain de jeu ne connaissait aucune limite.

Sans doute les albums originaux permettent-ils de mieux cerner le phénomène Can, mais The Singles reste un joli rappel de l’influence immense que la formation a exercée, d’abord sur les groupes post-punk comme Public Image Ltd ou The Fall, puis sur la génération post-rock des années 90, Tortoise en tête…

MA NOTE: 7/10

Can
The Singles
Mute/Spoon
79 minutes

http://www.spoonrecords.com/