Critiques

Crabe

Notre-Dame de la vie intérieure

  • Pantoum Records
  • 2019
  • 30 minutes
8
Le meilleur de lca

«Les allers-retours sont possibles sans trop se décrisser»: voici de bien sages mots, glanés sur la page Bandcamp de l’énigmatique duo punk CRABE (parfois orthographié CBRAE). Actif depuis plus d’une décennie, le groupe a lancé le 3 mai dernier son septième album, Notre-Dame de la vie intérieure. Une sorte d’aura mystérieuse entoure cette musique singulière.

CRABE présente 11 courtes pièces bien travaillées, qui possèdent une énergie légère et une sorte d’imagination «enfantine». Le travail des artistes peut sembler confus par moments, un peu comme des enfants qui peignent avec leurs mains et en mettent partout. Mais comment est-ce possible de faire ça, et de rester en même temps aussi pertinent, actuel et mature? On ne peut que tomber sous le charme, en écoutant le duo déjanté oeuvrer dans une liberté, une spontanéité et un humour qu’on ne trouve décidément pas partout.

Très important à souligner: l’absence de basse. Dans la chanson Festival, un «octaver» est utilisé parmi les effets de guitare, pour la faire sonner comme une basse, ce qui est judicieux. On aurait toutefois souhaité que le tone de la guitare soit un peu plus expansif, car il est assez mince par moments, et cela ne rend pas justice au talent du musicien. L’utilisation d’effets hétéroclites rajoute du caractère à l’ensemble.

En vrac: Âge High fait penser à un très lointain Vulgaires Machins, moins aseptisé. On dirait à jamais ressort du lot grâce à son bout «clean» allant toucher des sonorités à la Oktoplut. Notre-Dame de la vie intérieure est un bien étrange morceau pour avoir été choisi comme pièce-titre! Constituée d’échantillons, elle ne représente peut-être pas tout à fait le reste de l’album.

Les paroles (en français) sont empreintes d’une certaine poésie magnifiquement absurde, qu’on ne penserait pas nécessairement trouver dans ce style assez chaotique.

Cent faucons libérés tuent le mal et le vice, l’esprit d’à-propos
Ce n’est pas la peine mon oiseau en liberté s’éclate là-haut

J’ai créé, j’ai crié

Un soin du détail ressort des chansons, celles-ci sont constituées de «passes», de transitions très rapides et adroites. Les compositions ont du chien, mais ne s’apparentent jamais à un punk «fâché» ou cliché. Les dissonances et les folles structures expérimentales sont à l’honneur, pouvant faire penser à un Code Orange moins prévisible. Les musiciens espiègles sortent de l’habituel 4/4 et vont vraiment plus loin que le punk de base. C’est peut-être un peu vagabond, décousu, parfois nébuleux, mais toujours étonnamment intuitif. Aucune structure conventionnelle ici, ni de refrain ou de couplet qui se répète… Presque tout est unique comme si c’était canalisé et retranscrit suite à une improvisation poussée. D’ailleurs, le duo se dit punk, mais cela se ressent peut-être plus dans leur attitude de «je-m’en-foutisme». L’album sonne réellement métal par moments, grâce aux riffs pesants et à quelques rythmes s’apparentant à des blastbeats.

CRABE semble aussi être un de ces groupes un peu plus plaisants à voir live qu’à écouter sur disque, même s’ils ont certainement trouvé leur son. Ils ont d’ailleurs énormément tourné au Québec (plus de 200 concerts!), tant dans de sympathiques concerts de sous-sol que dans des salles plus officielles.

Bref, un duo à la recherche artistique développée, qui dit vraiment quelque chose de plus que «fuck le système».