Clipse
Let God Sort Em Out
- Indépendant
- 2025
- 41 minutes
Dans la vie, il y a ces retours, ces « comebacks » qui créent l’évènement et qui viennent rappeler aux non-initiés ce qui se fait de mieux dans la musique et, dans ce cas précis, le hip-hop. Que ce soit des petits nouveaux qui reviennent avec leur deuxième album, moment décisif dans une carrière, ou encore le retour des anciens, des vétérans et des experts, ce sont des moments qui ne s’ignorent pas. En 2025, mis à part le dernier projet de billy woods (et, tout récemment, un album surprise de Tyler, the Creator!), nous attendions cette fulgurance, et elle a pris forme en la réunion de deux frères qui allaient renverser le game. Non, ce n’est pas PNL (ç’aurait pu, j’aurais bien apprécié d’ailleurs). Ici, on parle bien de Clipse!
Clipse, le duo composé des frères Gene « Malice » et Terrence « Pusha T » Thornton, revient avec un tout nouvel album. En fait, le premier depuis Til The Casket Drops, qui était sorti en… 2009! À cette époque, Eminem publiait Relapse et Tyler, the Creator sortait son premier album, Bastard! Ainsi, après avoir établi leurs carrières solos pendant plus d’une décennie (Pusha T ayant été très actif), un retour aux sources était de mise pour les deux frères. Autre fait notable autour de ce nouvel opus: c’est le légendaire Pharrell Williams aux manettes des productions, et ce, tout au long du projet. Cela pouvait donc donner deux choses : un projet nostalgique et potentiellement ringard ou une réinvention, une renaissance. Heureusement pour nous tous, c’est le deuxième scénario qui s’est dévoilé.
Cet album, c’est un effort rigoureux, dense, et pourtant, le duo ne cherche pas à demeurer inaccessible à la masse. Chaque prod est millimétrée au plus haut point, chaque parole est placée au bon moment, chaque flow est incisif, actuel; bref, les astres semblent avoir été alignés pour créer une étincelle, une synergie comme il ne s’en fait plus. En vrac, on retrouve le boom bap de M.T.B.T.T.F (Mike Tyson blow to the face), les échantillons vocaux de FICO, les ténèbres de Inglorious Batards, on a certains leitmotivs musicaux tels que les pianos répétitifs, et pourtant, il y a des variations discrètes, il y a une pincée de sel et un changement à la recette qui nous fait nous demander : « Mais bordel, quand est-ce qu’ils s’arrêtent ? »
Au niveau des paroles, avec le « coke rap » signature de Pusha T et le matérialisme, il est question de trip d’ego, de succès personnel, et même de quelques piques envers d’anciens partenaires et amis. C’est un désir de s’affranchir qui transpire, un désir de prendre ses ailes et d’affirmer une émancipation loin des diktats et des attentes. Et ce succès, les deux frères y sont arrivés, et leur force, c’est qu’ils sont capables de le montrer à tous de la manière la plus créative et jouissive possible. Ainsi, cette virtuosité lyrique se dévoile souvent dans sa forme technique. Ace Trumpets en est la preuve, entre références et rimes agencées, c’est un véritable bonbon. Le couplet de Malice avec des rimes en « i » et celui de Pusha en « a », le tout avec des basses assourdissantes, c’est tout simplement satisfaisant. En réalité, ces flows font de cet album un casse-tête où des pièces diamétralement opposées ont leur place sur la fresque ultime. Même sur All Things Considered, avec le refrain sous autotune de Pharrell qui diffère énormément du reste, apporte une nouvelle pièce, un nouveau style de performance formant une mosaïque colorée et complète.
De plus, en guise de collaboration phare de l’album, Chains & Whips est, comme attendu, un banger en puissance. Il y a même quelque chose de poétique en voyant Pusha T et Kendrick Lamar sur un morceau ensemble, tous deux ayant comme point commun d’avoir eu des démêlés avec Drake. Bref, nonobstant l’art imitant la vie, les couplets des trois artistes sont irréprochables. Et c’est également à ce moment que nous entendons une des instances du modus operandi de l’album. Cette phrase, elle reviendra souvent sans jamais perdre de son aplomb : « This is culturally inappropriate ».
Parce que oui, dans une ère de censure des voix marginalisées dans une Amérique de plus en plus oligarchique et dirigée par les mains de milliardaires sélects, nous sommes face à une culture « mainstream » édulcorée, dénuée d’authenticité et d’intensité. Dévier du chemin, c’est être un paria, être « inapproprié », donc. Clipse, eux, ils s’en foutent. Ils le font pour eux, pour quiconque veut bien l’entendre, pour les initiés et les recrues, pour les réticents et les dissidents, bref, pour quiconque veut s’aventurer dans leur chemin. Comme l’indique le titre, l’album trie les réceptifs, allant des artistes aux nouveaux curieux, afin d’obtenir un seul groupe uniforme : les amoureux de musique, avides de sensation forte et d’honnêteté.
Oui, croyez-en le hype. Let God Sort Em Out, c’est un des évènements de l’été 2025 et, beau temps, mauvais temps, il n’y a aucun mauvais moment pour en profiter.