Critiques

Billy Woods + Kenny Segal

Maps

  • Backwoodz Stuidoz / Fat Possum Records
  • 2023
  • 44 minutes
8
Le meilleur de lca

Mine de rien, ça fait maintenant 20 ans que Billy Woods lance sa musique de façon farouchement indépendante. Après avoir fait relativement peu de vagues pendant les 10 premières années de sa carrière, il a lancé l’album History Will Absolve Me en 2012 en désespoir de cause, en se disant que ce serait ses adieux à la musique. L’album a toutefois remporté un succès critique qui a drastiquement changé le parcours du rappeur. L’approche sans compromis sur History annonçait ce qui allait sous-tendre son œuvre pendant les années à venir: une aura de mystère (visage pixelisé, masqué ou imperceptible dans toutes ses photos et vidéos) et un appétit pour le chaos qui le rendrait difficile d’approche si ce n’était de la grande expressivité de sa musique et de l’efficacité dévastatrice de ses rimes. 

Il enchaîne les excellents albums depuis, tant en solo qu’avec Armand Hammer, son duo avec le rappeur Elucid. Juste en 2022, il a livré deux albums qui se sont retrouvés dans de nombreuses listes de fin d’année, Church et Aethiopes, des albums éprouvants et impressionnistes qui exprimaient le sentiment de se trouver dans un présent qui aurait pu être un monde futuriste et utopique, mais qui en fait nous ramène constamment les mêmes thèmes d’injustice, d’incompréhension, de violence et de détresse.

Woods avait déjà fait équipe avec le beatmaker Kenny Segal en 2019 pour un album entier, Hiding Places, un de ses mieux reçus en carrière. Rien de surprenant donc qu’ils refassent équipe. Segal réalise des trames qui conviennent à merveille à l’inconfortable zone de confort de Woods. On l’entend dès la première pièce, Kenwood Speakers, une pièce courte où toute trace de beat disparaît après à peine une minute pour se fondre en une masse de bruit sur laquelle Woods poursuit son flot, plus slam que rap.

Le chaos frémit sous la surface pendant la totalité de Maps, mais le momentum est maintenu par Woods et ses invités, tous dans une forme dangereuse. L’énergie est particulièrement contagieuse dans les pièces où Quelle Chris, Danny Brown, Aesop Rock et le susmentionné Elucid apportent leur contribution. Woods a le don de décrire ce qui tourne pas rond dans son environnement immédiat, et il choisit cette fois un double fil conducteur: la vie de musicien en tournée, jamais totalement à l’aise à l’étranger, et le retour chez lui à New York, où le malaise se poursuit quand il constate à quelle vitesse la gentrification transforme son quartier.

Il y a un autre fil conducteur à Maps, et c’est le style un peu trop uniforme des trames composées par Kenny Segal. Je dirais que c’est ce qui vient le plus près de représenter une faiblesse ici. Au trois-quarts de l’album, les ambiances semblent se répéter. Sans l’intervention de Sam Herring, chanteur de Future Islands, dans le refrain de Face Time à la 12e piste, une certaine lassitude aurait menacé de briser le rythme.

Dans l’ensemble, tout de même, c’est probablement ce que Billy Woods a fait de plus accessible dans une discographie pas très facile à aborder. Il y a quelque chose de magnétique dans sa voix, même dans les moments où on le sent exaspéré, sans autre outil que la dérision et le cynisme pour garder la tête haute. Woods est un incontournable pour les fans de hip hop champ gauche d’une lucidité corrosive.

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