Big Thief
Two Hands
- 4AD
- 2019
- 40 minutes
On ne l’attendait certes pas aussi vite ce quatrième album de Big Thief! Pas plus tard qu’en mai dernier, le quatuor de Brooklyn nous offrait le somptueux U.F.O.F., petit bijou d’indie folk à la sensibilité émouvante. Et voilà que nous arrive Two Hands, qui parvient non seulement à égaler la richesse de son prédécesseur, mais qui la surpasse même en misant sur une approche plus spontanée et plus viscérale…
Il y a quelque chose de frondeur de la part de Big Thief de sortir ainsi deux albums en moins de six mois. Oui, bien sûr, on connaît la productivité légendaire de Ty Segall ou de King Gizzard & the Lizard Wizard, mais venant d’un groupe qui venait d’offrir son album le plus abouti en carrière, la manœuvre a de quoi surprendre. En effet, il y avait un risque de diluer l’intérêt généré par U.F.O.F. en proposant déjà un nouvel opus qui pourrait ne pas obtenir le même accueil. Mais le résultat est si fort qu’on ne peut que s’avouer vaincu devant pareille démonstration d’assurance.
Two Hands ne se veut pas du tout une suite à U.F.O.F., même si Big Thief l’a décrit comme le pendant « terrestre » de son jumeau « céleste ». D’abord, les deux albums ont été enregistrés dans des conditions complètement différentes : la nature abondante de Woodinville, dans l’État de Washington, dans le cas d’U.F.O.F.; le désert aride de Sornillo, au Texas, dans le cas de Two Hands. Le groupe a aussi misé cette fois sur une approche beaucoup plus directe en studio : le moins d’overdubs possible et des prises captées en direct pour la voix. Le résultat est poignant, et encore plus intense en raison du caractère brut, voire imparfait, d’une telle interprétation.
La voix si distinctive et les talents d’écriture d’Adrianne Lenker ont toujours été au cœur de la démarche de Big Thief, et c’est encore plus frappant sur Two Hands. La musicienne elle-même a affirmé qu’il s’agissait de la collection de chansons dont elle est la plus fière (« je peux m’imaginer les chanter encore quand je serai vieille », a-t-elle dit) et on comprend aisément pourquoi. En effet, sa voix n’a jamais semblé aussi forte et fragile à la fois, le tout renforcé par des textes coup-de-poing, parmi les plus troublants de sa carrière encore toute jeune. Sur la magnifique Forgotten Eyes, elle lance un appel à la compassion face au sort des plus vulnérables avec des vers tout simples comme « Everybody needs a home and deserves protection », sa voix brisant sur le mot « needs » comme si elle-même avait peine à soutenir la force de sa propre poésie. Ailleurs, sur la délicate Cut My Hair, elle implore quelqu’un de lui donner un peu d’attention, telle une petite fille négligée par ses parents :
« Tell me I’m pretty
Tell me I’m rare
Talk to the boy in me
He’s there ».
– Cut My Hair
Sauf que la beauté de Two Hands ne tient pas seulement à la présence imposante de Lenker, mais aussi à la parfaite cohésion qu’elle affiche avec ses acolytes. La basse sinueuse de Max Oleartchik donne une magnifique rondeur à la pièce-titre, tandis que la batterie de James Krivchenia soutient admirablement le texte dans la ballade Wolf. Mais les deux chansons phares sont Shoulders et Not, que la formation trimballe en concert depuis un bon moment déjà, et qui montrent Big Thief à son plus brut. Sur la première, Lenker regarde la mort droit dans les yeux sur un texte d’une rare violence (« The blood of the man who killed my mother with his hands is in me »), tandis que le groupe passe en mode plus rock afin d’égaler son intensité. Not frappe encore plus fort, avec la voix de Lenker qui menace de craquer à tout moment, le tout culminant dans un solo dissonant du guitariste Buck Meek. Du très grand art.
Si U.F.O.F. se démarquait par son mélange d’intensité et de sensibilité, Two Hands montre que la douleur et la beauté ne sont pas des concepts si éloignés l’un de l’autre. Big Thief a beau avoir eu le culot d’appeler son premier album Masterpiece en 2016, c’est ici que le groupe américain signe son véritable chef-d’œuvre.