Big Red Machine
How Long Do You Think It’s Gonna Last?
- Jagjaguwar Records
- 2021
- 65 minutes
Taylor Swift, Sharon Van Etten, Fleet Foxes… Ce ne sont là que quelques-uns des artistes recrutés par Aaron Dessner (The National) et Justin Vernon (Bon Iver) pour leur deuxième album sous le nom de Big Red Machine. Malgré une telle distribution, How Long Do You Think It’s Gonna Last? s’avère étonnamment modeste dans son ambition (parfois trop), misant sur un indie folk feutré et douillet.
On ne saurait sous-estimer l’impact considérable que Dessner et Vernon ont eu sur la construction d’une certaine esthétique « indie folk », dans les années 2000, marquée par la recherche d’une musique à la fois vulnérable et frêle, mais en même temps capable de puissance émotive. L’année 2007 aura été particulièrement importante à cet égard, avec la sortie de Boxer de The National et For Emma, Forever Ago de Bon Iver, deux œuvres parmi les plus respectées dans les cercles de mélomanes.
Bien sûr, les deux musiciens ont fait du chemin depuis. The National a acquis une notoriété qui dépasse les cercles indés, et Dessner joue désormais dans les grandes ligues, ayant collaboré avec Taylor Swift sur ses disques Folklore et Evermore. Quant à Vernon, il a visiblement cherché à s’affranchir un peu de cette étiquette « indie folk » en intégrant de plus en plus d’éléments électroniques dans la musique de Bon Iver, en plus de collaborer avec des artistes comme Kanye West.
D’une certaine manière, How Long Do You Think It’s Gonna Last? s’apparente à un retour aux sources pour les deux acolytes, comme si Big Red Machine devenait pour eux un véhicule permettant de remonter le temps jusqu’à l’époque où tout était plus simple, où ils n’avaient pas à porter le poids de leur héritage respectif. Ça se ressent dans la structure souvent simple des chansons, dans les textures très réconfortantes, et dans les arrangements sobres. Le plus bel exemple en est peut-être The Ghost of Cincinnati, sorte d’hommage à Elliott Smith. Il y a aussi très peu d’élucubrations électroniques comme on pouvait les attendre de la part de Vernon. Et quand il y en a, leur effet est décuplé du fait de leur utilisation parcimonieuse et bien dosée, comme sur l’étonnante Easy to Sabotage, en duo avec le rappeur Naeem.
Même s’il s’agit d’un album collaboratif, la griffe de Dessner et de Vernon demeure omniprésente dans le choix des harmonies et des arrangements, et dans la qualité indéniable des compositions. La très jolie Latter Days, en duo avec Anaïs Mitchell, compte parmi les plus réussies, tout comme Phoenix, qui réunit de nouveau Mitchell ainsi que Robin Pecknold (Fleet Foxes). La puissante Hutch, avec Sharon Van Etten, Lisa Hannigan et Shara Nova, ressort également du lot, avec ses chœurs magnifiques qui évoquent le travail de Vernon avec son projet Volcano Choir.
Cela dit, le problème avec les albums collaboratifs, c’est qu’ils sont souvent inégaux, et How Long Do You Think It’s Gonna Last? n’évite pas cet écueil, compte tenu de sa durée (65 minutes, 15 chansons). Sur les deux chansons avec Taylor Swift, Birch est particulièrement réussie, mais Renegade détonne par rapport au reste et s’apparente davantage à un titre solo de l’icône de la pop reconvertie en star indé. Le duo de Vernon avec Ariel Engle (La Force, Broken Social Scene) rate aussi un peu la cible, surtout dans sa finale lorsque les effets sur la voix dérapent.
Au final, How Long Do You Think It’s Gonna Last? reste un album agréable, exécuté avec brio, mais qui s’écoute parfois trop bien, comme si on oubliait sa présence. C’est peut-être le mauvais côté de cette retenue dont Dessner et Vernon ont voulu faire preuve, et qui fait qu’il y a peu de titres qui restent dans la tête. Tandis que le premier album de Big Red Machine, paru en 2018, se voulait plus exploratoire, celui-ci est axé sur la nostalgie. C’est plus confortable, mais moins engageant.