Critiques

Babylones

Le désordre pour le style

  • L-A be
  • 2018
  • 31 minutes
7

Le voici enfin, le premier album du groupe québécois Babylones, formé par les vieux comparses Charles Blondeau (Mauves, Maude Audet) et Benoît Philie, anciens de la formation Erewhon. Quatre ans après la sortie d’un premier EP, Le désordre pour le style propose un rock plutôt sombre, baigné d’influences des années 80 et 90, et qui tire dans plusieurs directions en même temps. Désordonné, vous dites?

Les gars de Babylones ont déjà eux-mêmes utilisé l’expression « pop angoissante » pour décrire leur musique, en référence aux sentiments d’angoisse et d’anxiété qui se retrouvent dans plusieurs de leurs textes. On pourrait également y ajouter l’idée de nostalgie, qui transparaît autant dans les paroles que dans ces musiques qui puisent au post-punk, au rock progressif ou à l’indie façon The Strokes. Malgré l’enrobage un brin mélancolique, les chansons du groupe donnent généralement dans le rock plutôt rythmé, à part quelques ballades dont la belle Tout ce que je possède.

Si le premier EP de Babylones était traversé par un certain fil conducteur, avec des textes qui abordaient pour la plupart l’étape du passage à la vie adulte, les thèmes sont plus éparpillés ici, même si l’idée de voyage revient souvent, au sens propre comme au figuré. Ainsi, dans Divertissement (pour les gens distingués), la route devient une sorte d’exutoire à une vie quelque peu destructrice :

« Quand le matin je me réveille vert comme les pancartes sur l’autoroute

Ma vie est un couteau fait de désirs et de risques

Plus rien n’est comme avant depuis que j’habite les quartiers tristes

Mais la route est belle… »

Divertissement (pour les gens distingués)

Le voyage devient aussi parfois une promesse, comme dans la très jolie Nunavut, sur fond de guitares saturées d’effets :

« Nous irons un jour ensemble bientôt sans doute au Nunavut

Nous roulerons seulement la nuit sous les étoiles, sur les routes

Et les loups montreront les dents

Et nous irons de l’avant. »

– Nunavut

Dans ses meilleurs moments, Le désordre pour le style arrive à créer une atmosphère enveloppante, que ce soit par les harmonies vocales finement ciselées ou par un rock certes un peu référentiel, mais tout de même entraînant. Babylones frappe fort dès le premier morceau, Dans le noir, construit autour d’un riff de guitare efficace et porté par une énergie post-punk qui peut évoquer Echo & The Bunnymen. Lifts, elle, semble rappeler les influences prog de Blondeau et Philie, avec une rythmique ternaire et sa pulsation lourde. L’album se conclut sur l’excellente Prophètes, très psychédélique durant sa finale planante, où les chœurs et les guitares s’entremêlent.

N’empêche que le groupe se perd parfois dans des directions qui viennent briser le climat qui s’était installé jusque-là. L’hyperactive Millionnaires, présentée en mai dernier, surprend par son rock léger et ses paroles un brin surréalistes (« Millionnaires responsables/Un gros merci à nos comptables/On fera ce qu’on veut/Tous les jours, tous les deux »). Une brèche naïve qui tranche avec le côté plus sérieux du reste de l’album. Sentiment semblable pour la suivante Confessions, qui fait dans la chanson québécoise plus classique, ce qui donne un rock plus convenu aussi.

Plus de dix ans après l’âge d’or des Malajube et Karkwa, le rock québécois traverse actuellement une de ses périodes les plus fécondes, avec l’émergence de formations comme Corridor, Jesuslesfilles, Renard Blanc, Choses Sauvages et bien d’autres. En dépit de quelques titres plus faibles et d’un léger manque de cohérence, Babylones ajoute une nouvelle pierre à cet édifice qui se renouvelle sans cesse.