Anohni
Hopelessness
- Secretly Canadian
- 2016
- 42 minutes
Antony Hegarty a été pendant les dix dernières années la meneuse d’Antony And The Johnsons, groupe qui a accumulé de nombreux prix, dont le Mercury pour son album I Am A Bird Now en 2005; grand disque, s’il en est un! Voici que la chanteuse a décidé de voler de ses propres ailes pour un premier album solo. En fait, il faut dire que solo est très relatif puisqu’on retrouve à la sitedemo.cauction deux grosses pointures de la musique électronique: Oneohtrix Point Never (Daniel Lopatin) et Hudson Mohawke. Cela veut dire aussi un éloignement assumé de la musique de chambre que l’on retrouvait sur les albums précédents.
Hopelessness est une œuvre magistrale qui compte sur des trames riches et texturées qui sont aussi efficaces lorsque grandiose que lorsqu’elles se font intimes. C’est une réinvention de la chanson de protestation avec des trames électroniques qui frôlent l’expérimental. La noirceur ambiante de l’album traduit très bien l’aspect pessimiste des textes. Antony ne se gêne pas pour prendre la parole sous des angles originaux et inusités comme Drone Bomb Me, chanté en incarnant une jeune fille afghane dont la famille a été décimée par une attaque de drone. Celle-ci implore le ciel de lui fendre le crâne, de laisser tomber ses bombes sur elles. Un texte extrêmement touchant qui remet beaucoup les choses en perspective lorsqu’on pense qu’il y a un an, les statistiques parlaient déjà de plus de 2 000 morts et un nombre incalculable de blessés.
Anohni n’a pas peur d’aller assez loin dans l’expérimentation comme le prouve la mélodiquement bizarre Violent Men. Sur celle-ci, la trame est minimaliste, mais efficace à souhait et la chanteuse y est rejointe par les deux voix de CocoRosie. La voix unique, touchante et puissante d’Antony est à l’avant-plan régulièrement, dont sur la très efficace et particulière pièce-titre. Malgré le côté expérimental très présent tout au long, elle ne nous égare pas puisqu’une certaine humanité se dégage de l’ensemble. Elle évite le piège la froideur du King Of Limbs de Radiohead alors qu’Hudson Mohawke et Oneohtrix Point Never trouvent toujours le moyen de glisser suffisamment d’éléments accrocheurs pour empêcher qu’on se sente étranger.
Et puis, il faut dire que les quelques pièces plus dynamiques telles que la sublime 4 Degrees s’assure de nous garder dans le coup. On y retrouve le son de cuivre synthétique si particulier à Mohawke, mais avec l’habillage atmosphérique dont seul Lopatin connaît le secret. Cette pièce qui raconte le désir que tout brûle sur la terre était pour Hegarty; une façon de prendre ses responsabilités pour l’épreuve que l’homme fait vivre à la terre.
Le discours d’Anohni, tout au long de Hopelessness, se veut peut-être pessimiste, mais sa force et sa façon de nous le livrer inspirent plutôt le courage de dénoncer une situation qui, de plus en plus, approche le seuil critique. Après David Suzuki qui semble avoir abandonné la lutte, ce disque rappelle que collectivement nous sommes responsables de nos modes de vie. Un disque de chanson protestataire aussi efficace que les meilleurs parut dans les années 60-70, mais avec une facture totalement contemporaine. C’est sublime du début à la fin. Anohni offre ici un disque magistral qui ne comporte aucune faiblesse.
Ma note: 9/10
Anohni
Hopelessness
Secretly Canadian
42 minutes
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