Critiques

Alvvays

Blue Rev

  • Celsius Girls
  • 2022
  • 39 minutes
7,5

Un premier album encensé par la critique, un deuxième auréolé du Juno de l’album alternatif de l’année en 2018 et déjà deux sélections sur la courte liste du Polaris… On peut affirmer que la carrière du groupe torontois Alvvays a démarré en trombe et les accolades se poursuivent avec Blue Rev, qui accentue le virage shoegaze amorcé sur Antisocialites (2017) en le raffinant, sans perdre son cachet pop.

En surface, la recette d’Alvvays est d’une simplicité désarmante : des ritournelles pop inspirées des années 60 aux refrains accrocheurs, des guitares rugueuses, mais pas trop et surtout la voix faussement désintéressée de Molly Rankin. Sur son premier album, paru en 2014, le groupe avait trouvé le juste milieu entre la pop garage de Best Coast et l’indie mélancolique. La production s’est complexifiée sur Antisocialites, avec de plus en plus de reverb et d’écho sur les guitares, mais une pop encore bonbon, quoique ce deuxième album manquait par moments de cohérence stylistique.

Réalisé par Shawn Everett (Kacey Musgraves, The War on Drugs), Blue Rev corrige les lacunes de son prédécesseur en développant le parfait équilibre entre un pop-rock accrocheur et d’esthétique rétro, et une production complexe qui n’hésite pas à jouer sur les limites du bruit et des guitares saturées d’effet. Quand on y pense, il s’agit de la même recette qui a fait la renommée des War on Drugs jusqu’au décevant I Don’t Live Here Anymore, sur lequel le dad rock occupait tout le plancher.

Blue Rev frappe un grand coup dès le lever de rideau avec un premier trio de titres tous plus accrocheurs les uns que les autres. Pharmacist est un petit bijou d’indie pop à la Archie, Marry Me, mais avec un côté noise rock plus grinçant, tandis qu’Easy on Your Own? explore les questionnements de la vie de jeune adulte (« How do I gauge / Whether this is statis or change? ») sur fond shoegaze. Le même contraste entre pop bondissante et paroles introspectives prévaut sur After the Earthquake, qui utilise le tremblement de terre comme image pour évoquer l’idée de rupture.

Sur le plan sonore, Alvvays explore des techniques qui ne faisaient pas partie de son arsenal auparavant, et la présence d’Everett derrière la console semble avoir eu une influence considérable sur la direction musicale de ce nouvel album. Par exemple, les nappes de synthés sur Very Online Guy évoquent une très belle esthétique dream pop, tandis que Bored in Bristol est enrobée d’un filtre qui lui donne un aspect flou qu’on n’associe pas nécessairement avec de la pop bonbon un brin naïve.

Dans un autre contexte, ces effets pourraient paraître forcés. En effet, qu’y a-t-il de plus cool que de piquer quelques pages du livre de Kevin Shields pour pimenter une indie pop somme toute assez classique d’un point de vue compositionnel? La vérité, c’est qu’Alvvays ne tente pas consciemment de sonner comme My Bloody Valentine mais aborde la pop comme un outil malléable, un canevas duquel il est possible de tirer plusieurs possibilités. À la base, la grande qualité de ces chansons, c’est qu’elles sont simplement bien écrites, sauf que l’enrobage shoegaze-dream pop leur donne un cachet et une fraîcheur qui permettent de renforcer la proposition.

Même si leur premier album occupe une place privilégiée dans mon cœur, Blue Rev constitue objectivement le disque le plus abouti d’Alvvays. Il est plus complexe sur le plan de la production, et témoigne d’une plus grande recherche sur le plan de la forme. Ça ne réinvente pas le genre pour autant. Il y a des titres où les influences sont trop évidentes (la guitare à la Johnny Marr sur Pressed) et d’autres qui se noient dans la masse (quelconque Tom Verlaine, malgré le joli clin d’œil au leader de Television). Mais c’est de la très bonne indie pop, à la fois dense et lumineuse.