Critiques

Alexis Marshall

House of Lull. House of When

  • Sargent House
  • 2021
  • 42 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Alexis Marshall est le hurleur en chef de la formation Daughters. Ce groupe formé à Providence au Rhode Island propose un amalgame de tout ce qui est considéré comme étant « core » dans la musique contemporaine : mathcore, grindcore et hardcore, etc.

En 2018, le quatuor crachait à la face du monde le magistral You Won’t Get What You Want. Cette création magnifiquement apocalyptique témoigne des divagations créatives du guitariste Nick Slater et de l’indéniable savoir-faire du réalisateur Seth Manchester, mais sans l’apport vocal, littéraire et scénique d’Alexis Marshall — cet homme passe ses concerts à s’administrer des coups de microphone Shure SM58 sur sa tête — Daughters n’est pas tout à fait le même groupe.

Faisant appel au talentueux Manchester à la réalisation, invitant dans son univers son bon ami Jon Syverson (batteur de Daughters depuis 2002) et des artistes aussi singuliers que Kristin Hayter (Lingua Ignota) et Evan Patterson (Jaye Jayle, Young Widows), Alexis Marshall nous présente son premier long format : House of Lull. House of When. Pendant le confinement, Marshall et Manchester sont entrés en studio sans aucune idée de ce qui allait se passer.

Ce premier album s’articule autour de détritus sonores qui ont été récupérés et assemblés comme un collage. On retrouve des motifs de batterie déstabilisants, des lignes de piano fragmentées et des larsens de guitares subtilement positionnés dans le paysage sonore.

Marshall éprouve également une indéniable fascination pour la musique industrielle. Pour accentuer l’effet déroutant de tous ces bruits impurs, l’artiste s’est procuré une panoplie d’outils dans une quincaillerie située près du studio d’enregistrement. Si vous portez attention, vous entendrez de nombreux cliquetis et des sonorités proto-industriels. Si Daughters a repoussé les limites du noise rock avec You Won’t Get What You Want, Marshall creuse encore plus profondément le même sillon en prenant bien soin d’ajouter à sa démarche des éléments issus du rock gothique.

Dans le communiqué de presse fourni par la maison de disques Sargent House, Marshall explique ce qui l’a incité à plonger dans cette aventure en mode esseulé : « Je me suis toujours perçu un peu plus comme un performeur plutôt qu’un écrivain. Dans le passé, j’ai manqué de confiance quant à la prise en charge d’un projet artistique, mais aujourd’hui, j’ai envie d’être pleinement en contrôle de ma créativité ».

Lors de l’enregistrement, une nouvelle perspective est apparue dans l’esprit de Marshall. Dans la jeune vingtaine, l’homme s’est enfoncé dans les abysses de l’autodestruction. Aujourd’hui, ayant franchi le seuil de la quarantaine, le tout nouveau père de famille porte un regard différent sur le chemin parcouru. House of Lull. House of When traite du conflit existant entre la nostalgie de l’innocence perdue et le mépris de l’adulte face à l’insouciance de la jeunesse. Dans Drink from the Oceans. Nothing Can Harm You, en deux petites phrases, Marshall résume sa pensée quant au paradoxe mentionné précédemment :

The past is like an anchor

I am here

– Drink from the Oceans. Nothing Can Harm You

Toutefois, l’effet du confinement sur l’état d’esprit de l’artiste est perceptible dans les textes. Dans It Doesn’t Just Feel Good Anymore, sur une musique tribale soulevée par un saxophone évoquant le hennissement d’un cheval, Marshall nous ordonne d’une voix affolante de ne plus bouger et de respecter mordicus nos « obligations » :

You are expected to meet your obligations

Don’t touch anything

Don’t touch anyone

Stay where you are

– It Doesn’t Just Feel Good Anymore

Ce disque turbulent se conclut avec l’apaisé Night Coming qui met à l’avant-plan un synthétiseur ondulant et la voix mâchonnée de Marshall, comme si celui-ci tentait de se remettre tant bien que mal d’une crise d’anxiété. Ce disque est un voyage au coeur de l’esprit agité et tourmenté de ce grand créateur.

House of Lull. House of When est un serpent constricteur enroulé autour de votre cou qui s’apprête à exercer une pression plus accentuée…