Abd Al Malik
Scarifications
- Gibraltar / Le Label
- 2015
- 50 minutes
Le cinquième élément du rappeur, compositeur, slameur, écrivain et même réalisateur brûle les haut-parleurs. Ce Scarifications, dont la sortie s’est faite une semaine avant les attentats de Paris, est prémonitoire, visionnaire. Nous voici devant le compte-rendu d’une France à venir, terrorisée et repliée sur elle-même.
Oui, il y a urgence dans l’Hexagone. Abd Al Malik voit clair, ouvre les yeux et son âme. Il clame, dès l’ouverture, sur Allogène (J’suis un stremon):
«Muslim et noir de peau, qu’est-ce qui me détermine?
Qu’est-ce qui se joue dans ma poitrine?
Mon cœur cesse de battre, parfois c’est la routine
Est-ce donc ça qui discrimine?
Je n’entérine aucune nouvelle doctrine
Ne suis-je pas un enfant de la République?… d’la République?»
Il poursuit sur Daniel Darc – du nom du chanteur rock français mort en 2013 – dans sa tirade nerveuse, trempant la plume dans l’encrier noir:
«La vie te descend pan, pan
Eux te disent: « Va d’l’avant »
Je ne veux pas, je ne peux pas, je ne sais pas vivre»
Le message est sans contradiction, sincère, mis à l’avant dans cette œuvre qui marquera assurément la carrière d’Abd Al Malik. Nous entrons dans l’intimité d’un artiste qui s’engage sur la voie de la dénonciation des doubles standards. Oui, Scarifications est sombre, mais pointe ici et là, entre les cris de désespoir du chanteur musulman, une lueur, lointaine et lumineuse. Car Abd Al Malik croit en l’humanité, en cette force intérieure.
«Donner de l’espoir à ceux qui n’en ont pas, qui n’en ont plus
Le monde est ainsi fait: chacun se replie sur ses peines
Et la haine veut nous faire croire qu’on est tout seul à croire en l’avènement de la possibilité d’un monde meilleur
Errant savamment dans l’ignorance de l’Autre
Je te ferai nous aimer
Seul l’Amour peut sauver l’humanité
L’humanité» – Roi de France
Mais voilà… Il y a eu ce vendredi 13 novembre 2015. Il y a eu cette centaine de morts et ces centaines de blessés, la faucheuse entraînant l’incompréhension et la terreur dans son sillage.
Relecture obligée des textes de Malik. Comment ne pas voir un nouveau sens?
«L’innommable est nommé, mais c’est nous qui sommes décriés
À la base du désordre on se plaint du manque d’unité
Trop de tombes à fleurir, trop de frères à Fleury
Trop longtemps coupable d’être innocent
Verbalement, t’as déjà fait trop de victimes
Mais dites-moi donc qui du mal est à l’origine, oh?» – À contretemps
Et comme si la force des textes n’était pas une raison suffisante pour justifier l’arrêt obligatoire des activités lors de l’écoute de ce disque, le discours d’Abd Al Malik est soutenu par l’électricité musicale de Laurent Garnier, maître de l’électro et de la techno français. Un duo de choc qui livre un sitedemo.cauit d’une grande qualité sonore durant près de 50 minutes.
Scarifications est une œuvre qui s’épluche dans l’urgence, mais s’assimile tranquillement, d’écoute en écoute. Et comme To Pimp A Butterfly du rappeur américain Kendrick Lamar, elle prend son sens dans la douloureuse actualité.
Mais même sans les attentats, cet album est primordial et marquant pour quiconque aime le rap, en premier lieu, mais aussi pour ceux pour qui privilégie la signifiance des discours proposés.
Ma note: 8,5/10
Abd Al Malik
Scarifications
Gibraltar / Le Label
49 minutes
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=stDoxZmdSA4[/youtube]