Critiques

aasiva nirunniq

Aasiva

Niriunniq

  • Aakuluk
  • 2021
  • 24 minutes
7,5

D’abord associée à l’indie folk, l’artiste inuk Colleen Nakashuk, connue sous le nom d’Aasiva, a décidé d’explorer une musique un peu plus aérienne, voire même presque cinématographique, sur son deuxième album. Réalisé par Jace Lasek (The Besnard Lakes), Niriunniq combine avec brio le folk, la pop, l’expérimentation électronique et le chant de gorge inuit pour un résultat somptueux et tout à fait réussi.

On a souvent tendance à tenir pour acquise la présence d’infrastructures musicales de qualité, surtout dans une ville comme Montréal, où la présence de plusieurs studios a joué un rôle clé dans l’émergence de la scène indépendante. Mais ce n’est pas le cas partout. Par exemple, le Nunavut ne compte aucun studio d’enregistrement. C’est donc dans un garage, celui d’Andrew Morrison, du groupe Jerry Cans et co-fondateur du label Aakuluk, que Niriunniq a été enregistré en mars 2020, tout juste avant la pandémie. Une fois de retour à Montréal, Lasek a complété le mixage dans son studio Breakglass, gardant le contact par téléphone avec Morrison et Aasiva.

Même si son titre signifie « espoir » en français, le processus qui a mené à la création de l’album Niriunniq a été douloureux pour Aasiva. Après la mort soudaine de sa mère en 2019, la musicienne a passé des mois sans être capable de chanter ou d’écrire de la nouvelle musique. Mais elle a tenu bon et a finalement retrouvé le goût de créer, la musique devenant pour elle une manière de composer avec le deuil. La touchante Ungalirakki est d’ailleurs une chanson en hommage à sa mère, portée par un simple accompagnement de ukulélé, mais avec des chœurs aériens qui amènent la musique vers quelque chose d’éthéré et lumineux, en phase avec le reste de l’album.

Sur Niriunniq, Aasiva relève le défi d’adopter les codes et les techniques de la pop occidentale sans perdre de vue ses propres traditions, s’inscrivant ainsi dans la lignée d’artistes de haut calibre tels Tanya Tagaq ou Jeremy Dutcher. Ce n’est pas nouveau pour elle. Sur son album éponyme paru en 2018, elle avait déjà montré sa capacité à combiner les deux univers, même si le côté pop un tantinet naïf l’emportait un peu trop souvent dans les arrangements et dans le type de mélodies vocales.

Cette fois, Aasiva donne l’impression d’être davantage en confiance. L’approche pop demeure (dansante Pigganaqtuq, presque tropicale dans son intention), mais elle se veut plus exploratoire, que ce soit dans le choix des sonorités ou des rythmiques, comme sur l’excellente Namu. L’instrumentation est plus élaborée aussi. Le ukulélé est toujours présent, mais il cède souvent le pas à des constructions plus complexes composées de couches de synthés, de cordes ou encore de percussions.

Il serait tentant d’y voir le résultat de la présence de Lasek derrière la console, mais je ne voudrais pas diminuer le rôle d’Aasiva dans le processus. D’ailleurs, au-delà de l’enrobage musical, c’est la voix qui reste le moteur de Niriunniq. Ça s’entend dans le mixage, bien sûr, mais aussi dans la place accordée aux mots, entre autres dans les deux interludes récités. On sent aussi qu’Aasiva a voulu célébrer la résilience de son peuple en faisant appel à plusieurs collaborateurs qui viennent enrichir le propos. Le chant de gorge de Riit donne une toute nouvelle puissance à l’intense Piqatiikka, tandis que le beatmaker FxckMr bat la mesure sur trois titres sur onze.

Malgré sa brièveté (à 24 minutes, on en aurait pris un peu plus), Niriunniq marque un grand pas en avant pour Aasiva par rapport à son premier album. Les chansons sont courtes, comme des vignettes, mais leur apparente simplicité cache une belle richesse texturale. C’est aussi un disque qui assume pleinement sa fierté, celle de sa culture, de sa langue et de ses origines, mais dont le message demeure universel.

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