Critiques

070 Shake

Petrichor

  • Def Jam Recordings / Getting Out Our Dreams Inc. / Universal Music Group
  • 2024
  • 39 minutes
7

Dans la vie, il y a ceux qui connaissent 070 Shake et il y a ceux qui la connaissent sans le savoir. Attendez, vous verrez où je veux en venir.

Danielle Balbuena, de son vrai nom, a réussi à se bâtir une réputation dans l’ombre, mais néanmoins brillante, ainsi qu’une fanbase relativement petite, mais somme toute dévouée. Avec son album Modus Vivendi, sorti en 2020, des titres comme Guilty Conscience et The Pines ont réussi à lui instaurer un univers musical à la frontière de l’ésotérique et de la curiosité. En 2022, elle a d’ailleurs contribué au tube improbable Escapism., en collaboration avec Raye. Si vous trainiez sur Tik Tok dans les alentours de novembre et décembre 2022, cette ritournelle était inévitable: « I don’t want to feel how I did last night… » Bref, 070 Shake, on la retrouve là où on s’y attend le moins, et elle surprend là où on ne l’attend pas. En 2024, voici donc Petrichor, que l’on peut d’ailleurs définir comme étant le parfum de la terre sèche après le passage de la pluie. Cette odeur, nous la retrouverons partout. Dans les performances vocales, dans les synthétiseurs métalliques, dans le gris de la pochette… en d’autres mots, Petrichor est morose, contemplatif, et désolé. Sin s’annonce comme des portes s’ouvrant à nous, simples voyageurs entrant dans un hôtel prestigieux de Las Vegas, la Sin City, la cité du vice. Entrons, nous sommes attendus!

D’abord, la beauté plastique de l’album sidère et déstabilise. En réalité, quand on pense pouvoir cerner Petrichor, nous n’y arrivons jamais vraiment, comme si 070 Shake nous laissait percevoir un millimètre de lumière à travers des rideaux avant de subitement les refermer sans prévenir. Nous sommes laissés à nous-mêmes, face aux tourments internes de Balbuena, résonnant comme des appels à l’aide, sous fond de productions musicales empreintes de tristesse. La guitare acoustique de Vagabond, le violon de Pieces of You, ou encore la rythmique hip-hop de Battlefield, chantent la mélancolie, s’évaporent et créent un brouillard épais autour de nous. Cette ambiance psychédélique si propre à 070 Shake, nous allons la retrouver jusque dans sa voix, alternant entre le chant vulnérable et les phases méditatives. Par moment, le tout sonne presque comme du slam, particulièrement sur Blood On Your Hands, ode à la violence et au désir insidieux de l’artiste de mourir dans les mains de son amant. « I want my blood on your hands, » susurre-t-elle d’une voix inquiétante. Cette voix, elle se veut rugueuse, parfois même rocailleuse, à l’image de cette fameuse terre asséchée par les intempéries. Elle est parfois si fragile qu’elle finit par se perdre au beau milieu d’un brouillard musical mystique, barrière symbolique qui établit une distance volontaire entre 070 Shake et son auditoire.

Néanmoins, il y a quelques instants qui surprennent par leur brutalité. Lungs agit comme un « jumpscare, » une scène clé dans un film d’horreur, et cet interlude installe une ambiance pesante avant de finalement nous rassurer et nous bercer avec la merveilleuse Into Your Garden, en compagnie de JT, rappeuse originalement membre du duo City Girls. Sur ce morceau, le piano vient nous transporter directement dans ce jardin hypothétique, comme un rêve dont on ne voudrait jamais s’extirper. De plus, du côté des collaborations, on notera également la présence de Courtney Love (!!!!!) sur l’intrigante piste Song to the Siren. Sur l’album, nous retrouvons aussi Elephant et What’s Wrong With Me, les pistes les plus dansantes s’avérant également être parmi certaines des meilleures du disque. What’s Wrong With Me, en particulier, se démarque par une mise sous pression pesante et haletante. À l’image de l’album, ces deux pistes sont fantomatiques, prises entre le désir de catharsis et de pudeur.

Avec ses émotions conflictuelles, il est difficile de cerner Petrichor dans son entièreté, car on ne saurait où se positionner face à un produit aussi étrange qu’intrigant. Pourtant, 070 Shake, telle une funambule, sait marcher la ligne entre la laideur et la beauté, à l’image de cette pluie s’abattant sur le sol. Poétique et empreint de spleen, Petrichor n’est pas la pluie après le beau temps, mais bien la pluie qui devient le beau temps.

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