Skinny Puppy et Lead into Gold au MTELUS, le 25 avril 2023
Au début du mois de février dernier, les admirateurs purs et durs de musique industrielle ont encaissé un choc émotif d’une certaine importance. En effet, la mythique formation canadienne Skinny Puppy annonçait sa tournée d’adieu après quarante années de galère.
Amorcée le 6 avril dernier à San Antonio au Texas, l’ultime tournée des Vancouverois s’arrêtait hier soir au MTELUS en compagnie de l’ex-Ministry Paul Barker qui officiait en première partie sous le pseudonyme de Lead into Gold.
Lead into Gold
Ce projet intermittent mené par l’ex-bassiste de Ministry est assez intéressant en format album. En 2018, Lead into Gold présentait The Sun Behind the Sun. L’année dernière, Barker nous offrait l’étonnant The Eternal Present. Chez Ministry, Barker adoptait le profil plus groovy tandis que le bon vieux Al Jourgensen préférait noyer son esprit troublé dans des sonorités hautement décapantes.
Lead into Gold est un projet plus intellectuel et moins cadencé que ce que l’artiste propose d’ordinaire. On y entend une sorte d’atmosphère dystopique se mariant assez bien avec ce qu’a toujours proposé Skinny Puppy.
C’est donc sur une sirupeuse chanson de Barbra Streisand — Send In The Clowns pour ne pas la nommer — que Paul Barker et son acolyte se sont présentés sur scène. Encadré par deux minuscules écrans, le son puissant asséné par le duo a fait, par moments, trembler le MTELUS au grand complet. Si les claviers étaient magnifiquement bien gérés par son accompagnateur, Barker, lui, accentuait la puissance du tandem avec un jeu de basse bien distordu. En format album, Lead into Gold propose un son plus domestiqué. En concert, ça explose littéralement. Deux chansons ont particulièrement retenu mon attention : The Sea The Sun The Past The Sum et The Eternal Present. Une excellente entrée en matière avant le plat de résistance.
Skinny Puppy
Ces pionniers de la musique industrielle ont suivi les sentiers arpentés par les grandes pointures de ce genre musical que sont Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire et Suicide. Leur vaste corpus de musique sombre et distordue est souvent associé aux sonorités parmi les plus grinçantes et discordantes que le genre peut proférer. Ces antivivisectionnistes convaincus — opposés à toute forme d’expérimentation animale — ont toujours conçu des dispositifs scéniques sanguinolents incluant des représentations graphiquement violentes de la vivisection.
Le groupe a également subi plus que sa part d’adversité. En 1995, l’un des membres fondateurs de Skinny Puppy, Dwayne Goettel est décédé d’une surdose d’héroïne dans la salle de bain de ses parents. De voir et d’entendre ces survivants présenter un spectacle pour une dernière fois à Montréal est franchement émouvant. Maintenant, après quarante ans de dissidence assumée, est-ce que ce concert ultime de la formation était à la hauteur des attentes ?
Pour bien estimer la valeur d’un concert de Skinny Puppy, il faut accepter d’être provoqué par les mises en scène souvent glauques qui ont caractérisé la plupart de leurs prestations. Or, les deux membres fondateurs de la formation, Nivek Ogre et cEvin Key ont atteint la soixantaine. Sans qu’ils se soient complètement assagis, les deux musiciens ont écarté judicieusement les excès « sanguins » de cette ultime tournée.
Cette fois-ci, en 14 chansons rodées au quart de tour, Skinny Puppy nous a raconté l’histoire de deux sombres personnages qui se sont « affrontés » tout au long du concert. Lors des deux premières chansons — VX Gas Attack et I’mmortal —, Ogre chantait derrière un paravent où on le voyait combattre avec son ennemi. Ce procédé emprunté au théâtre d’ombres a été employé une autre fois durant The Choke, pièce au cours de laquelle Ogre fut attaché sur une chaise et battu par son tourmenteur.
Après les deux premiers morceaux, Ogre s’est avancé au-devant de la scène portant un costume évoquant une sorte de fantôme voilée. Dans Tormentor — morceau-phare du classique de la formation, Too Dark Park, paru en 1990 —, son tyran lui a injecté un liquide qu’il avait auparavant extirpé d’une sorte de faon ou de petit chien rouge installé au-devant de la scène. Difficile de bien voir de l’endroit où j’étais posté. Ogre s’est alors transmuté en extraterrestre. Enfin, dans Inquisition, l’oppresseur s’est présenté de nouveau sur scène avec un cerveau dans lequel il a puisé un autre liquide qu’il a fait boire de force à Ogre.
Toute cette mise en scène est savamment élaborée pour passer quelques messages : le peu de considération que l’être humain a envers son environnement et l’asservissement de l’humanité à la technologie, entre autres.
En rappel, Ogre et ses acolytes se sont avancés sur scène sans aucun artifice, prêts à conclure avec intégrité leur dernier concert en carrière en sol montréalais. On a alors eu droit à un moment touchant lorsque le quatuor a interprété Assimilate pour ensuite conclure avec Candle, pièce tirée de l’album The Process (1994).
C’est sous une ovation monstre que le groupe a quitté la scène du MTELUS. Après quarante ans d’excès de toutes sortes, de spectacles provocateurs, voire rebutants, ce que l’on retiendra de ce dernier concert, c’est cette musique originale que Skinny Puppy a enfantée et qui a inspiré une panoplie de musiciens et de créateurs.
Un concert d’adieu totalement réussi.
Liste des chansons :
- VX Gas Attack
- I’mmortal
- Rodent
- Wornin’
- Tormentor
- Deep Down Trauma Hounds
- Human Disease (S.K.U.M.M.)
- Hardset Head
- Pedafly
- Morpheus Laughing
- The Choke
- Worlock
- Inquisition
- Dig It
Rappel :
- Brap
- Smothered Hope
- Assimilate
- Candle
Crédit photo: Evenko