POP Montréal 2017 : Soirée du 16 septembre
Je continuais mon périple à POP à l’église St. John. Quelle soirée!
Michele Nox
Michele Nox a inauguré la soirée d’hier de façon grandiose dans toute la splendeur de l’église St. John. Elle nous a interprété quelques pièces assez hétéroclites, passant de l’électronique glitché et texturé à la chanson en quelques secondes, avec une aisance impressionnante. Probablement l’élément le plus marquant est-il sa voix. Les envolées lyriques se succèdent sans gants blancs en se prononçant et s’intensifiant jusqu’à frôler sporadiquement le scream. Les mélodies et les modes qu’elle emploie se rapprochent souvent des mélismes de la musique arabe, procurant une très belle couleur à ses compositions déjà regorgeantes d’influences diverses. La plasticité des œuvres plus électroniques était bien travaillée, les chansons étaient assez originales, surtout au niveau des progressions et des mélodies, mais aussi dans le rythme général, dans l’agogique des passages plus rubato. C’était vraiment une belle performance, assez unique en son genre et presque amplifiée par le magnifique endroit qui la contenait.
Serpentwithfeet
Comment bien décrire la performance ou le style de serpentwithfeet… Un mélange de gospel, de R&B, d’improvisation vocale, de proximité chaleureuse et de textes mégadépressifs? Je ne saurais dire. Ce qui est facile à voir cependant, c’est sa virtuosité vocale presque surhumaine et son aisance scénique. On se sentait dans la chapelle comme dans son salon, engageant une conversation musicale qui n’a même pas été proche de durer assez longtemps pour ce qu’il y avait à partager. J’ai souvent de la misère avec les trames sonores en direct; la chose est souvent utilisée par paresse artistique plus que par besoin. Dans son cas, c’est autre chose : de n’avoir que sa personne sur la scène, sans autres objets que deux micros et un clavier, est essentiel à ce sentiment de proximité que l’on ressentait en sa présence. La musique n’est pas pour autant négligée, elle sort seulement de notre esprit, qui ne veut que se concentrer sur sa magnifique voix et sur ses paroles. Sa performance émotionnelle est une des meilleures dont j’ai eu connaissance; le contrepoint entre l’improvisation et le déterminé lui inspirait une courbe émotionnelle très intéressante qui donnait une méchante couche d’humanisme à l’expérience. Vraiment, les deux seules petites lacunes de cette dernière étaient le son de piano synthétique qui sonnait affreusement mal et la brièveté de l’acte; tout le monde en aurait pris deux fois plus.
Yves Tumor
Si les mots me manquaient pour parler de serpentwithfeet, je suis un analphabète quant à la « performance » de Yves Tumor. Les techniciens enlèvent tout sur la scène excepté deux moniteurs, tournés vers le public, et deux très hautes chandelles. Elles deviennent d’ailleurs nos seuls phares quand toutes les lumières se ferment, et on apporte un homme noir en fauteuil roulant, vêtu uniquement d’un masque et de longues bottes, le tout en cuir. On le place entre les deux moniteurs, et il reste immobile pour quelques instants. Puis, tout d’un coup, les haut-parleurs se mettent à cracher du bruit blanc distortionné à fond… et ce pendant exactement trente minutes. L’homme ne bouge pas du spectacle. Pas de filtres, pas d’effets, juste le bruit blanc à en faire saigner les oreilles. On ne s’entendrait pas crier.
La salle comble passe par toutes les émotions. La lumière de la porte de sortie, seule autre source lumineuse, en fait saliver plus d’un. La foule est d’abord stupéfaite, puis incrédule, puis amusée, puis désemparée, puis résignée. Des gens partent, d’autres parlent, certains tentent d’achever Tumor avec des applaudissements, ceux en avant prennent des photos avec flash. La majorité se bouche les oreilles, acceptant leur sort, espérant la fin de l’œuvre.
Quoi en penser? Sûrement l’artiste, originaire d’Italie, n’est qu’un dégénéré. C’est du moins ce qui semble être l’opinion générale. Mais pour moi, cette œuvre semble être toute autre. Tumor n’est pas venu de si loin pour nous présenter une pièce, mais une piste de réflexion. Sur notre écoute, sur l’art, sur la musique, sur tout ce qu’on veut : c’est le point même de la chose, nous laisser à nous même. L’artiste s’est muselé et retourné vers nous, comme pour que la pièce émerge de nous. Et aussi sauté que ça puisse paraître, ce n’est pas chose nouvelle. John Cage l’a fait il y a longtemps avec 4’33. Est-ce de l’art? Certainement. Quiconque soutenant la thèse contraire devrait selon moi reconsidérer sa définition d’art. Est-ce une bonne œuvre musicale? Pas du tout. C’est une œuvre philosophique en parallèle avec une catharsis, et tout le monde devrait tenter une telle expérience, ne serait-ce qu’une fois.
Moor Mother
La soirée s’est terminée en compagnie de Moor Mother, qui nous a offert une performance qui paraissait presque conventionnelle, lorsque mise en relation avec les deux dernières. Elle était à l’arrière de son ordi, munie de quelques pédales (dont les plus utilisées étaient le délai et le bitcrusher) pour altérer sa voix et les échantillons qu’elle utilisait. La performance scénique est à l’image de ses albums, mais l’aspect improvisé de la chose la rendait beaucoup plus poignante. Après une quinzaine de minutes d’intro plus atmosphérique, elle a presque obligé la foule à se lever et à venir se coller contre son bureau, incitant même un auditeur à jouer avec ses pédales d’effets. Son style de rap faisait penser par moment à du Rage Against the Machine; c’est un assez bon gage de la puissance que dégageaient la DJ et sa musique. Son set consistant en une évolution contrapuntique constante entre les gros rythmes sales et les masses sonores plus ambiantes, et la ligne directrice qui les reliait était composé à merveille. Sous ses airs de révolutionnaire pompée se cache manifestement une compositrice habile. On le voit en studio, mais le live le confirme. Il est très dur de faire cohabiter avec tant de cohérence rythme et arythmie sans que l’un ait l’air d’introduire l’autre. Un autre concert magnifiquement réussi.
Ce fut somme toute une soirée éprouvante pour l’oreille, non seulement au niveau du son, mais aussi quant aux styles qui n’était pas toujours très accessibles… et ça paraissait dans la salle. Pour moi du moins, cette soirée a été la plus révélatrice du festival à date. De loin. Encore une fois, la programmation de Pop me flabbergaste de par sa diversité et sa vision de la musique actuelle.