L’opéra Another Brick In The Wall
Tu sais le moment où tu te dis en écoutant The Wall : « on dirait que cette pièce a été composée expressément pour un opéra. » Si tu te reconnais là-dedans, à ce qui parait, tu as eu la même idée qu’une gang de crinqués bien de chez nous. On peut être un peu fiers de nos artistes d’ici; Roger Waters n’a jamais donné sa bénédiction à un tel projet avant aujourd’hui. Il avait d’ailleurs rejeté l’idée de Pierre Dufour au départ, jusqu’à ce qu’il entende la musique de Julien Bilodeau, un compositeur multidisciplinaire ayant notamment étudié avec Stockhausen. L’opéra, mis en scène par nul autre que Dominic Champagne, a été interprété en première mondiale samedi soir par l’Orchestre Métropolitain et une bonne brochette de chanteurs dirigés par Alain Trudel.
Il faut comprendre en premier lieu que le but n’était pas d’arranger l’album intégral pour orchestre, chœurs et solistes. Il s’agit d’un opéra en bonne et due forme qui s’inspire fortement et qui cite fréquemment l’œuvre originale. Cela est conforme à l’idée de Waters qui ne veut rien savoir de la forme opéra rock. Le seul élément utilisé dans son intégralité est le texte, et donc l’histoire. Avec une telle œuvre, il n’est pas question de la reformuler, de la « rafistoler » ou de « l’améliorer ». La balance entre les citations et les éléments originaux apportée par le compositeur est très bien exécutée, pour laisser une grande place à la nouveauté tout en gardant le canevas originel.
L’histoire de Pink, le personnage principal, est maintenant quasi mythique. Son récit est raconté d’une langue moderne, qui adapte quelque peu le contexte, l’apparence des personnages et l’esthétique au goût du jour. Choix judicieux; tenter de garder le contexte exact du personnage originel ne ferait qu’éloigner l’auditeur de l’œuvre.
La mise en scène est digne de Dominic Champagne; intelligemment structurée pour que le lien entre l’histoire et son environnement soit fluide, qu’il soit explicite ou implicite. Il a réussi à se détacher de l’idée originale du mur pour l’utiliser comme symbole omniprésent, mais interactif à travers les scènes. Il est formé de deux moitiés et bouge, se referme, change d’angle, d’importance et de signification au fil de l’opéra. La vidéo servant de support visuel est un petit bémol. Elle est projetée à la fois sur l’iconique mur et sur un écran positionné au centre de la scène et raconte ce que les acteurs et la musique ne peuvent raconter. Certaines parties sont filmées, d’autres sont faites à l’ordinateur, avec une esthétique rappelant celle des vidéos de Pink Floyd… Esthétique devenue kitsch depuis. Étant donné que l’œuvre s’inscrit dans un contexte actuel, il aurait peut-être été préférable d’utiliser du graphisme moderne et bien exécuté.
Finalement, en matière musicale, Julien Bilodeau a fait un travail très respectable. La composition maintient, en général, un bon équilibre entre un style contemporain et le style de l’œuvre original. J’aurais préféré une plus grande présence d’écriture contemporaine et d’innovation, parce qu’un compositeur de sa tempe a le bagage nécessaire pour le faire. Cependant, il est vrai que trop s’éloigner du contexte de l’œuvre originale engrange des risques. Certains passages sonnaient un peu trop rock ou populaire, laissant s’échapper sporadiquement l’idée de l’opéra savant. Cependant, cela rend le projet plus accessible à son public cible.
En bref, l’avide consommateur d’opéra sera satisfait, sans plus, et le vieux fan de rock sera plus ou moins satisfait, sans plus. À mon avis, il faut apprécier les deux mondes pour bien profiter de cette œuvre, de laquelle on peut d’ailleurs être fiers!
http://www.operademontreal.com/programmation/another-brick-in-the-wall