Le Festif! 2018 : Jour 3 et 4
Jour 3
Par Marie-Ève Muller
La foule pulse comme un seul cœur qui bat au son des basses des trois scènes. Les grandes lettres lumineuses « Le Festif! » attirent les soulons comme un fanal, les éphémères. La soirée promet son lot de sueur et de déversement de bière : la coqueluche Émile Bilodeau, les éternels Creature ou les sombres Suuns dans le sous-sol de l’église. Mais avant de tomber dans la débauche, revenons au soleil en mode « cuisson rapide » de l’après-midi, quelque part sur le quai de Baie-Saint-Paul.
Mara Tremblay a été accueillie par une chanson de bonne fête, puisqu’elle célébrait son 49e anniversaire. Elle s’est payé la traite et a offert à la foule une version bien rock de ses pièces. Mara lançait de l’amour et son public lui en renvoyait. Mara a eu les yeux dans l’eau quelques fois. La foule aussi. Ou c’était la crème solaire qui leur fondait en plein visage.
Fin d’après-midi, Helena Deland a offert une version presque grunge des pièces de ses deux derniers EP. Une artiste à surveiller.
J’ai attrapé le dernier quart de la dernière pièce des The Blaze Velluto Collection et m’en suis mordu les doigts : j’aurais dû arriver plus tôt. C’était psychédélique et sexy. Le trio Zouz a ensuite rempli les oreilles de la foule avec leur noise rock déconstruit.
Parce que Richard Desjardins a écrit parmi les plus belles chansons de la francophonie, je suis allée à la bien nommée scène Desjardins écouter l’hommage « Desjardins on l’aime-tu ». En fait, j’ai essayé d’écouter. De bord en bord de la foule, des ilots de personnes indésirables enterraient les chansons avec leur jasage de gens saouls. Dommage!
Toutes ces belles personnes en sérieux état de boisson se sont ensuite séparées en trois foules. Émile Bilodeau était attendu de pied ferme par un public chantant les pièces des Colocs qui jouaient en trame de fond. Ça scandait « Juste une p’tite nuite » avec tellement d’aplomb que Bilodeau est venu sur scène chanter lui aussi sans micro et filmer cette belle masse humaine en communion. Le talentueux auteur-compositeur-interprète a explosé dès le début de son spectacle. Après trois pièces bien livrées, j’ai couru vers Creature. Le band n’a que deux albums en carrière (2008 et 2013), mais leurs pièces d’électro-punk-new wave-queer ont voyagé. Ils précédaient Random Recipe, qui a avoué avoir été largement influencé par ce band. On salue l’équipe de programmation d’avoir mis les deux groupes ensemble, c’était franchement réussi.
En m’enfonçant dans l’antre de l’église, j’ai compris que le spectacle s’écouterait les yeux fermés et se ressentirait dans les tripes pour Suuns. L’humidité formait un voile opaque transpercé par les jets de lumière verte, mauve, rose, les flashs. Les guitares grinçaient, la basse faisait vibrer nos os. Les corps se balançaient comme un seul, en communion.
Du côté du Garage du curé, le one-man-band Urban Junior, venu de Suisse, tentait de faire exploser les murs en poussant les décibels à fond. Les murs ont tenu, mais ce n’était pas faute d’essayer.
Jour 4
Par Camille Goulet
3 h : Après un samedi intense, bien éméchée, la tête voulant exploser de souvenirs, je m’étends une petite heure avant d’aller assister au spectacle de Stéphane Lafleur.
4 h : Le cadran sonne. La batterie rechargée à environ 10 %, je me lève pour me diriger vers la cour arrière de l’Hôtel Le Germain Charlevoix. En chemin, on croise des festivaliers qui marchent vers les lieux du spectacle auquel nous sommes conviés, déjà emmitouflés dans leurs couvertures.
4 h 30 : Dans une pénombre qui s’éclaircit à la même vitesse que notre éveil, on aperçoit un décor minimaliste aux allures d’un salon « vintage » sur un fond de grand pâturage entouré de montagnes magnifiques. C’est seul avec sa guitare, un amplificateur, assis sur une chaise de bois et éclairé d’une jolie lampe, que Stéphane Lafleur amorce doucement son spectacle. Il nous avertit gentiment du rythme très lent que la prestation suivra dû à l’absence des heures de sommeil qui lui ont été accordées. Tout de même heureux d’être là et également surpris de nous voir aussi nombreux, il nous a offert une multitude de pièces allant de L’amour passe à travers le linge, Walkie-Talkie, Mon dos n’est pas une chaise, Loup-Garou, Les oiseaux faussent aussi, La journée qui s’en vient est flambant neuve et j’en passe. Même les moutons et les chèvres étaient de la cérémonie, ils chantaient avec l’artiste (pour vrai), ce qui a fait rire tour à tour les festivaliers qui se tiraient paisiblement du sommeil. Lafleur nous a même fait le plaisir de nous offrir Ôte-moi mon linge, pièce écrite pour Les sœurs Boulay ainsi que la chanson Houston de Catherine Leduc qu’il a interprétée pour la remercier du prêt de son amplificateur. L’aube sous nos yeux ébahis se tapissait subtilement derrière le chanteur.
Un peu avant les 6 : 00 du matin, après ce moment inoubliable que nous a offert Clément Turgeon (Directeur du festival), nous retournions tous souriants, nous reposer avant le spectacle de Philippe Brach.
Midi : Certains sont arrivés depuis longtemps, pour profiter du soleil ou encore pour s’assurer une place de choix au Quai Bell, pour ce dernier spectacle de la 9e édition du Festif! de Baie-St-Paul. C’était la 3e fois que j’assistais à ce fabuleux festival qu’il m’est désormais impossible de manquer et je sais à quel point cette finale est toujours mémorable et je ne suis pas la seule à ressentir une certaine effervescence au fond du cœur.
Brach arrive sur scène pour nous avertir que le spectacle débutera sous peu, mais qu’avant tout, il est à la recherche de cachets pour faire disparaître son mal de tête. Tout le monde rigole. La nuit a été courte et visiblement arrosée. De l’endroit où j’étais assise, je pouvais voir les musiciens impatients de monter sur scène. Ils se font un gros câlin et prennent place. Assumant sa fatigue et son lendemain de veille, Brach nous fait quelques blagues dès la première chanson. La voix légèrement enrouée à cause de l’abus de plaisir qui avait précédé, les notes aiguës ont été difficiles pour les 2-3 premières chansons, mais on s’en foutait, on savait qu’on aurait droit à une excellente prestation. Le spectacle qu’on avait frôlait déjà la perfection.
La foule est en délire. Brach et ses musiciens nous offrent une multitude de succès des 3 albums de l’artiste. On aura pu entendre entre autres : Né pour être sauvage, Crystel, Bonne journée, Nos bleus désirs, Gaston, Alice, Héroïne, La fin du monde, Pakistan, Ressac sur ta peau, Mes mains blanches, L’amour au temps du cancer et La peur est avalanche, pour ne nommer que celles-ci. C’est en débutant la pièce Joyeux anniversaire que le jeune homme nous mentionne qu’il fête en cette belle journée ses 29 ans.
« Normalement, le jour de ma fête, je débranche le téléphone et je me cache pour avoir la paix, mais aujourd’hui, c’est ici que ça se passe. »
Il n’en fallait pas plus à son public pour lui chanter « bonne fête » en chœur. Timide à la réception d’autant d’amour et d’attention, il nous remercie en enchaînant une multitude d’autres pièces. À un certain moment, pendant que ses musiciens nous offrent un fond instrumental, Philippe Brach s’étend sur le sol en disant qu’il adore le jazz, que ça le détend. On se demande s’il va réussir à se relever haha! La nuit précédente l’aura-t-elle emportée sur lui? C’est alors qu’il débute la magnifique chanson Tu voulais des enfants.
Brach nous a offert au moins 2 h de spectacle. Ce n’est pas un lendemain de veille qui peut l’arrêter. Ses musiciens étaient en feu, Gabriel Gratton nous a même fait une roulade en jouant de la guitare. Les enfants du guitariste Guillaume Bourque sont montés sur scène pour jouer joyeusement du tambourin. La générosité, le plaisir de Brach ses musiciens et leur talent à tous ne sont pas passés inaperçus. L’artiste s’est même arrêté un moment pour nous crier « Criss que vous êtes beaux », stupéfait de l’amour que lui envoyait la foule immense. Philippe Brach et ses musiciens chevronnés ont donné, selon moi, le meilleur spectacle de cette 9e édition du merveilleux Festif! Il n’y aurait pas eu une meilleure façon de clore le festival.
Le Festif : ce qu’on doit en retenir
par Émilie Rioux
Bien au-delà des spectacles, le Festif de Baie-St-Paul est un festival qui réinvente sa ville à chaque détour, en harmonie avec sa communauté. Chaque année, de nouvelles mesures écoresponsables sont mises en place, de nouveaux lieux sont déployés pour accueillir les festivaliers. Qu’on pense au mythique garage du curé (où Jésuslesfilles cadraient parfaitement), au magique bout du quai (où les kayakistes tendent l’oreille), à l’autobus magique (où la foule la plus endiablée sautait sur les rythmes mixés par SoCalled) ou encore aux forains et aux fanfares qui investissent les rues à toutes heures, il est difficile de retrouver la même ambiance ailleurs.
L’équipe inépuisable, qui semble à l’épreuve de tout, a encore une fois réalisé le défi grandiose d’attirer des milliers de festivaliers avec une programmation presque exclusivement composée d’artistes québécois. Les francophiles ont été rassasiés par la diversité de l’offre musicale, et les sceptiques ont été convaincus. N’en déplaise aux radios commerciales et autres événements génériques, Le Festif vient de prouver une nouvelle fois que la musique locale peut déployer les foules et valoriser une région entière, si on y met un peu de cœur et de passion.
Bravo et merci pour tout. On reviendra vous voir, toujours.
On a pris notre abonnement à vie.
Crédit de la photo d’entête: Louis Laliberté