FME 2021 : No Joy, Laurence-Anne, Johnny Clash & the Porkys, Drogue, Hot Garbage, Paul Jacobs, The OBGMs,Pure Carrière et CRABE
Pour célébrer le 10e anniversaire du Canal Auditif, votre « vieux punk » favori reprenait du service ce week-end afin de couvrir le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue en compagnie du bon LP Labrèche. Voilà donc mon compte-rendu des jours 1 et 2 de cet événement incontournable pour le passionné de découvertes musicales.
Jour 1 : No Joy + Laurence Anne
En 2020, la bande menée par Jasmine White-Gluz nous proposait l’excellent Motherhood, puis le mini album Can My Daughter See Me From Heaven. Une nouvelle mouvance shoegaze est actuellement en plein essor et No Joy se démarque par une musique aussi éclectique qu’abrasive. Le concert présenté à l’Église Immaculée-Conception n’a pas fait exception à la règle. D’entrée de jeu, la formation nous a gratifiés d’un triptyque chansonnier bonifié par une harpe, mais surtout par des claviers aériens, un cor français et ce violoncelle électrique qui amplifiait les basses fréquences.
Par la suite, le quintette s’est muté en trio pour nous offrir son shoegaze habituel. Dans une église, ce genre musical peut sembler brouillon en raison de la réverbération naturelle prédominante. Or, l’énergie était au rendez-vous et ce n’est pas étranger à la performance sentie de la guitariste qui accompagne White-Gluz ; une instrumentiste de grand talent qui, par la variété de ses textures, donnait du relief aux chansons de sa comparse. On aurait aimé entendre la formation dans une salle mieux conçue pour ce shoegaze parfois assourdissant.
Ensuite, c’est Laurence-Anne qui est monté sur scène avec quelques minutes de retard. J’avais à peine effleuré le travail de cette jeune autrice-compositrice-interprète autodidacte. Après l’écoute de ses deux longs formats, Première Apparition (2019) et Musivision (2021), j’étais curieux de voir la forme que prendrait ses chansons en concert. La pop de Laurence-Anne est tortueuse, étrange et d’une originalité sans équivoque. Sur scène, même les costumes portés, par l’artiste et ses accompagnateurs, reflètent ce non-conformisme. Après quelques chansons, interprétées de façon impeccable, j’en suis venu à la conclusion qu’il y a un je-ne-sais-quoi d’Angelo Badalamenti — principal compositeur des trames sonores des films du cinéaste David Lynch — dans les pièces de cette musicienne de grand talent. La musique de Laurence-Anne m’interpelle de plus en plus. Une excellente performance.
Jour 1: Johnny Clash & The Porkys + Drogue
Johnny Clash and the Porkyz est l’union improbable entre le créateur-designer Master Bougarricci (bassiste) et le batteur Alain Quirion (Zébulon), alias Crayzee. Pendant l’été 2020, ils ont enregistré un « premier ovni » qu’ils sont venus présenter pour la première fois en format « live » au FME. Déjanté, sauvage, ce krautrock tribal appuyé par des projections synchronisées et saupoudré de thérémine est une proposition audacieuse en tous points. Cette prestation intransigeante et indescriptible m’a réjoui au plus haut point. Un véritable délire qui demeure somme toute assez attractif. Chers festivaliers, pendant les prochains jours, si vous voyez déambuler Bougarrici dans les rues de Rouyn-Noranda, demandez-lui de vous raconter la manière qu’il est entré en relation avec Quirion… cette anecdote vous permettra de bien saisir la singularité de la proposition. Magnifiquement brouillon !
La soirée s’est conclue avec le hard rock rudimentaire, anachronique, mais efficace de Drogue. Si vous savez lire entre les lignes, oui, le premier EP de la formation m’a laissé de marbre. Or, en concert, les vétérans livrent vraiment la marchandise. D’entrée de jeu, le chanteur de la formation, le mythique Ludwig Wax (Le Nombre, Démolition) est apparu avec un masque de lutteur couvrant son visage; un clin d’œil réussi à cette pandémie qui n’en finit plus de finir. Il faisait bon de revoir le « frontman » en pleine possession de ses moyens, lui qui a passé la majeure partie du concert « hors scène » plutôt que « sur scène ». Pour une énième fois, j’ai été épaté par le jeu métronomique de Pierre Fortin; l’un des meilleurs batteurs de l’histoire du rock québécois. Comme l’a mentionné éloquemment Ludwig Wax au beau milieu de la prestation « Nous faisons du FADOQ and roll ! ». Coup de chapeau à la tonitruante reprise de Have Love Will Travel des Sonics. Ce fut une soirée rock suintante comme je les aime.
Jour 2: Hot Garbage + Paul Jacobs + The OBGMs
En premier lieu, ma deuxième journée du festival était consacrée au concert réunissant Hot Garbage, Paul Jacobs et The OBGMs sur la scène du Petit Théâtre de Rouyn-Noranda.
C’est Hot Garbage qui a foulé d’abord la scène. La formation torontoise de space rock a offert une performance très honnête enchaînant les pièces les unes à la suite des autres sans grande interaction avec le public. Les projections lysergiques qui tournaient en boucle derrière le quatuor étaient magnifiques. Je décèle chez la formation une influence bien camouflée de Black Rebel Motorcycle Club, ce très bon groupe américain de rock psychédélique/shoegaze qui nous a concocté quelques bonnes galettes au début des années 2000. Les claviers remémorent le bon vieux Pink Floyd des albums The Piper at the Gates of Dawn et Saucerful of Secrets. Bref, dans le contexte sanitaire actuel, il est bien difficile pour un groupe de faire littéralement « triper » un public sagement assis en train de siroter une consommation. Dans ces circonstances particulières, Hot Garbage a relevé le défi.
Par la suite, ce fut au tour de Paul Jacobs de nous présenter l’essentiel des pièces de son nouvel opus Pink Dogs on the Green Grass; un bon disque, mais qui n’a pas totalement convaincu l’auteur de ces lignes. Mais en concert, le batteur de Pottery donne une nouvelle énergie à ses chansons. Accompagné par un bassiste, un batteur de feu, un claviériste, mais surtout par une claviériste-percussionniste qui propulse le côté « dansant » de ses chansons à un niveau supérieur, Jacobs a offert une performance sans faille… comme si Kurt Ville décidait un jour nous faire gigoter. Pour ses prochains disques, en empruntant une voie plus « cadencée » un peu à la manière de Pottery, il pourrait séduire de nouveaux fans. Un excellent concert.
C’est à la formation punk, elle aussi originaire de Toronto, The OBGMs, qu’incombait la tâche de clôturer cette soirée. J’ai quelques amis — dont cette chère Brute du Rock — qui m’avaient bien breffé sur la qualité des spectacles offerts par la formation. Évidemment, tout repose en grande partie sur la performance scénique du charismatique Densil McFerlane. Compte tenu de la conjoncture en vigueur, j’aurais préféré les voir en compagnie d’un public suintant et légèrement imbibé. Mais pas de doute, The OBGMs est une machine bien huilée. Pigeant dans le répertoire de leurs deux premiers longs formats, l’éponyme The OBGMs et The Ends (en nomination pour le prix Polaris), l’énergie y était, propulsée par la performance dynamique du batteur Colanthony Humphrey. Une prestation à la hauteur de leur réputation.
À la sortie de la salle de spectacle, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre le tremblement de terre provoqué par Yoo Doo Right qui offrait un concert-surprise juste en face du Petit-Théâtre. Ça promet pour ce soir…
Jour 2 : Pure Carrière + Crabe
J’ai terminé ma soirée au Cabaret de la Dernière Chance qui proposait une affiche mettant en vedette Pure Carrière et CRABE. Pure Carrière, c’est le nouveau projet de « slacker rock », recelant quelques ascendants de la formation états-unienne Deerhunter, de Jean-Michel Letendre Veilleux (Beat Sexü, Hubert Lenoir) et Laurence Gauthier-Brown (Victime). Leur premier long format, Eterna 83, m’avait sensiblement interpellé. J’étais donc curieux de les voir en concert. Malheureusement pour le quintette, il y aura quelques boulons à resserrer afin de réellement me convaincre… Des présentations trop longues, quelques arrangements vocaux inharmonieux, une cohésion qui faisait parfois défaut et une mollesse généralisée ont malheureusement caractérisé cette performance. Peut-être une mauvaise soirée au compteur — ça m’arrive très régulièrement —, mais il y a encore du travail à faire pour atteindre les standards établis sur leur premier album. Qu’à cela ne tienne, je donne la chance à coureur. Il y a un quelque chose d’indéfinissable qui me séduit chez la formation originaire de Québec.
Enfin, j’avais la chance d’assister à une prestation complète, en bonne et due forme, de la formation jazz-punk expérimental CRABE. J’avais vu le duo dans le cadre d’une édition du GAMIQ. Une courte performance que j’avais beaucoup aimée. Après une introduction futuriste, le duo s’est lancé dans un chaos parfaitement maîtrisé, ponctué de commentaires aussi absurdes que « Ce soir, l’énergie est à trancher au couteau » de la part du meneur, le fabuleux guitariste Mertin Hoëk. Un fan derrière moi s’est mis à hurler quelque chose d’incompréhensif. Hoëk, allumé et totalement présent, a repris la balle au bond en répliquant « Y’a quelqu’un qui sonne comme un trombone icitte ! ». Absurde, délirant, d’une précision chirurgicale, CRABE est un véritable fleuron de la musique expérimentale québécoise. Prêtez l’oreille à leur tout dernier effort intitulé Sentients. Sinon, si l’écoute de ce disque ne vous convainc pas, aller les voir en concert. C’est d’la bombe !
Je serai de retour mardi prochain avec mon compte-rendu des concerts des jours 3 et 4 de ce FME, bien spécial à mes yeux !