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Coup de cœur francophone 2022 : Saratoga avec Suzie Bouchard

Saratoga foulait les planches du Ministère pour le dernier concert de sa tournée Ceci est une espèce aimée. Le tout était présenté dans le cadre de Coup de cœur francophone, et l’humoriste Suzie Bouchard ouvrait la soirée.

Pour leur passage au Coup de cœur francophone, le duo Saratoga a décidé de faire les choses autrement. Plutôt que de présenter une première partie musicale, Chantal Archambault et Michel-Olivier Gasse ont invité leur voisine, l’humoriste Suzie Bouchard, à assurer leur première partie.

Suzie Bouchard

L’ancienne avocate en litige qui roule sa bosse en tant qu’humoriste depuis quelques années, Suzie Bouchard, a eu le mandat d’ouvrir la soirée de Saratoga. Je ne m’étendrai pas sur sa prestation, n’étant pas une experte en humour. La jeune femme a offert presque une heure de blagues sur les privilèges, les peurs (dont celle de finir seule), les mélomanes et son passé en tant qu’avocate. La présence d’une comique, plutôt que d’un.e musicien.ne, a fait souffler un vent de fraîcheur. Le mélange des deux médiums, l’humour et la musique, fonctionne étonnamment mieux qu’on pourrait le penser. Cette idée d’ « art fusion », comme le trio appellera le concept en blague, était un vrai éclair de génie. À l’instar de Chantal Archambault, cette première partie m’a énergisée.

Saratoga

Saratoga terminait la tournée en soutien à son album Ceci est une espèce aimée, paru en novembre 2019. Avec la pandémie qui s’est déclarée quelques mois après la parution, la formation n’a pas pu jouer autant qu’il l’aurait désiré leur spectacle. À Montréal, notamment, elle n’a présenté qu’un seul spectacle au Théâtre Sainte-Catherine. Ce côté « toujours un peu en rodage » dont parle le groupe ne se ressent pas du tout. Dès les premières notes, le duo réussit à instaurer une ambiance intime et feutrée. Les éléments de décor, soit une table avec une caisse de vinyles, une table tournante, une tasse et un bouquet de fleurs, donnent l’impression d’être dans leur salon, avec eux.

L’offrande musicale de Saratoga est d’une douceur incomparable. Leur musique donne le même sentiment que d’aller passer une soirée avec des amis proches, un soir où le cœur se fait un peu plus lourd. Le ton se fait parfois plus badin aussi, notamment lorsque la paire reprend Douce Leilani, la version française de Sweet Leilani. Cette traduction est tirée de l’album Aloha de Michel Louvain datant de 1965. Ils reprennent également Tu t’en vas d’Alain Barrière. Suzie Bouchard reviendra sur scène pour quelques couplets. Elle se trompera dans quelques paroles, ce qui fera bien rire la foule. Alain Barrière et Michel Louvain sont décédés pendant la tournée, « ce sera [donc] le dernier cover », badine Michel-Olivier Gasse.

L’idée de demander à Suzie Bouchard d’ouvrir pour eux leur vient d’un commentaire récurrent comme quoi ils parlent trop entre les chansons. Michel-Olivier Gasse et Chantal Archambault se sont dit qu’ils demanderaient à quelqu’un qui ne fait que ça, parler, d’assurer la première partie, de manière à ce qu’ils n’aient pas à le faire. « Je prédis un échec dans une heure », blaguera avec un bon fond de vérité Michel-Olivier Gasse. Et on confirme que cette volonté ne durera pas longtemps. Gasse, notamment, est un très bon conteur, qui s’enflamme rapidement lorsqu’il parle de sujet qui le passionne, comme la botanique. D’ailleurs, il n’est pas que passionné par la botanique : il l’est aussi lorsqu’il joue de la contrebasse. Il suffit de le regarder quelques secondes pour s’apercevoir que l’instrument et lui ne semblent faire qu’un, qu’ils sont unis dans une sorte de combat au corps à corps. Bref, c’est très impressionnant.

Pour expliquer le concept de l’album, le couple tentera d’expliquer ce qu’est l’espèce aimée en question. Certes, il pourrait être question de leur enfant, qui avait un an au moment de créer l’album. Ce ne serait pas faux comme hypothèse, admet la paire. Mais l’album est plutôt né d’une volonté de donner de l’amour aux espèces mal aimées, comme les mauvaises herbes, la renouée du Japon (une sorte de bambou très envahissante) ou encore le fils d’une voisine. Cette dernière a touché Gasse avec tant d’intensité qu’il lui a écrit une chanson, Madame Rosa, ainsi qu’un livre, De Rose à Rosa. La voisine en question n’en sait rien, selon les dires de Saratoga. Mais l’objectif non dissimulé derrière ces œuvres, et surtout le fait de jouer la pièce Madame Rosa en concert, est de lui envoyer de l’énergie chaque soir qu’elle est jouée.

Chantal Archambault et Michel-Olivier Gasse forment un couple depuis 10 ans, nous apprennent-ils durant le concert. Leur complicité est tout simplement belle à voir. Ils ont du plaisir à jouer ensemble, ça se ressent à des miles à la ronde et ça se voit dans leurs sourires et leurs éclats de rire complices. D’ailleurs, il suffit de regarder la manière qu’a Archambault de regarder Gasse lorsqu’il s’enflamme pendant une intervention pour croire que l’amour existe encore. Elle semble toujours mitigée entre la fierté et l’exaspération, et pour une raison obscure, ça me touche énormément.

Pour conclure le spectacle, Chantal Archambault commence la pièce On est pas du monde, pendant que Gasse ramasse le matériel qui jonche la scène. Il débranche même les micros, mais qu’à cela ne tienne, Archambault continuera de chanter a cappella s’il le faut. Puis, il lui retire sa guitare. Ils termineront tous deux seuls sur scène, dans les bras l’un de l’autre, sans aucun artifice, au grand plaisir de la foule qui ponctue le ramassage de la scène d’éclats de rire.