Chroniques

The Smashing Pumpkins

Siamese Dream

  • Virgin Records
  • 1993

Billy Corgan a toujours été un homme en mission.

De nos jours, il tente de faire tomber les élites et les globalistes de gauche en collaborant avec des théoriciens du complot persuadés que Mars est peuplée par des colonies d’enfants esclaves. Mais au début des années 90, ses objectifs étaient un peu plus terre à terre : marquer l’histoire du rock ‘n’ roll. Rien qu’ça.

Cela dit, un certain blondinet de Seattle avait déjà mis le feu à la baraque avant lui. Nevermind avait remis la musique de guitares à l’avant-plan 2 ans plus tôt. La même année où les Pumpkins avaient eux aussi lancé leur premier album, Gish. Comble de malheur, Butch Vig, l’homme derrière la console pour les sessions de Gish, est aussi celui qui a enregistré Nevermind dans les mois suivants. Pendant des années, Corgan dira sur toutes les tribunes que l’esthétique de Nevermind lui a été volée et qu’il n’a jamais reçu le crédit pour avoir popularisé le son du grunge.

Mais à l’époque, le toujours chevelu Corgan ne semblait pas trop en tenir rigueur à Butch Vig. Fin 1992, c’est à nouveau ce dernier qui est appelé en renfort pour manier les pitons alors que le groupe de Chicago est prêt à enregistrer leur deuxième long jeu.

Mais l’écriture des chansons est incroyablement pénible pour Corgan. Le peu de succès de Gish (relativement à d’autres albums de la même époque), l’explosion du grunge et son désir de se surpasser le plonge dans une profonde détresse psychologique. Le grand guitariste avouera plus tard avoir pensé mettre fin à ses jours à plusieurs reprises dans les mois menant à l’entrée en studio du groupe. Il ira consulter un psychologue pour comprendre ce qui se passe avec lui et semble alors avoir un déclic. Les paroles des chansons prennent soudainement un virage plus personnel.

Musicalement parlant, Corgan se détourne un peu du hard rock de sa jeunesse et s’inspire de ce qui se fait de l’autre côté de l’océan. En un mot : Loveless.

L’autre chef-d’oeuvre sorti en 1991 marque profondément notre homme et il s’en inspire à plusieurs niveaux. Premièrement, il se détourne du son pur des amplificateurs Marshall pour trouver son inspiration dans une variété de pédales de guitare. Deuxièmement, pour avoir le plus gros son de son époque, Corgan et Vig juxtaposent une quantité malsaine de pistes de guitare l’une par dessus l’autre, comme l’a fait 2 ans plus tôt My Bloody Valentine. Le shoegaze britannique rencontre enfin le grunge américain.

Mais notre héros est en mission.

Rien ni personne ne s’interposera entre lui et son objectif. Même pas les membres de son propre groupe.

Les sessions de Siamese Dream sont longues et pénibles. Les Smashing Pumpkins deviennent pratiquement un « one-man show ». Les rumeurs disent que Corgan réenregistre systématiquement toutes les pistes de guitare de James Iha et celles de la bassiste D’Arcy. Les deux musiciens menacent de quitter le navire à plusieurs reprises.

Mais personne n’aura autant connu l’enfer que le batteur Jimmy Chamberlin. Ce dernier, étant de plus en plus aux prises avec une dépendance à l’héroïne, disparaît souvent dans la nature pour des périodes indéterminées. Après une nuit particulièrement intoxiqué, Chamberlin se présente un beau matin au studio plus ou moins en forme, au grand déplaisir de Corgan. C’est ainsi que commence ce que Butch Vig a par la suite qualifié de séance de torture. Chamberlin doit jouer et jouer et jouer en boucle la piste de Cherub Rock jusqu’à ce que le leader du groupe soit satisfait du résultat final. En sueur, les mains en sang, après on ne sait trop combien de prises, Chamberlin parvient à enregistrer une version qui satisfait son bourreau. Ainsi est née l’introduction d’un des plus grands albums des années 90.

Cherub Rock ouvre en faisant le pont entre Gish et Siamese Dream. Le son est plus grandiose et gras, mais les couplets et les refrains sont accrocheurs comme plusieurs succès de cette époque. C’est au moment du solo que l’on voit que le guitariste se détourne de l’approche classique pour y introduire plus de bruit et dissonance. Quelque part entre Jimmy Page et Kevin Sheilds. Et peut-être un peu de J. Mascis ici et là. Cette façon de faire marque Siamese Dream.

Les choses ne se calment pas avec Quiet (le jeu de mots poche est un peu voulu). Encore une fois, l’intro nous en dit beaucoup sur l’époque : une courte introduction digne des meilleurs moments de Loveless (deux morceaux de robot à Butch Vig pour le bizounage de studio) suivi d’un riff profondément ancré dans les années 90.

Mais c’est la troisième pièce qui éveille le plus la nostalgie des vieux trentenaires et jeunes quarantenaires de nos jours. Les paroles évoquant le mal de vivre ont fortement résonné aux oreilles d’une génération… devant le peu d’avenir professionnel et de choix de restaurants pour aller bruncher le dimanche. Outre ça, la suite d’accords est incroyablement accrocheuse.

Le gros rock se poursuit avec Hummer et Rocket. Cette dernière s’ouvre avec une intro hallucinante au son de la pédale Fender Blender (merci, Kevin Sheilds !) pour en faire un autre moment phare. Même si dans le clip nos 4 amis ressemblent à des patates au four, on ne peut s’empêcher d’apprécier l’attaque à la batterie de Jimmy Chamberlin et le refrain assaisonné de moments guitaristiques complexes.

Mais le succès monstre de l’album demeure Disarm. Le concept de la guitare-acoustique-pis-ben-des-violons est vieux comme les Beatles. Mais la performance vocale et les paroles donnent à la pièce un quelque chose qui se démarque de ses semblables de l’époque. Sur les 13 morceaux de l’album, Spaceboy, Sweet Sweet et Luna vont aussi ramener les choses sur terre avec un son beaucoup moins fuzzé. Cette dynamique entre les moments qui brassent et un certain romantisme permet peut-être de comprendre le combat que mène à ce moment Billy Corgan contre ses propres démons. Il est pris quelque part entre les bas fonds et l’envie de tout détruire sur une scène comme le faisait déjà Kurt Cobain.

Et la tête de citrouille ne s’en privera pas avec Geek USA et Silverfuck : deux morceaux où la bipolarité des gros amplis et du rock planant des années 60 et 70 se rencontre. Pour les fans, ces deux pièces démarquent les Pumpkins de leurs semblables de la même époque. On y retrouve de tout : de gros riffs, des moments doux et Corgan qui rend hommage à Eddie Van Halen.

Mais, encore de nos jours, après toutes les frasques connues (et sûrement inconnues) de William Patrick, les deux pièces se démarquant vraiment des 14 autres sont Soma et Mayonnaise. Peu importe ce que fera Corgan sur scène, s’il gracie son public d’un de ces deux chefs-d’oeuvre, ce dernier lui pardonnera tout. Ces deux chansons reprennent la formule tranquille-lourde de Nirvana et des Pixies, mais en plus sombre, en plus mélancolique. Avec quelque chose d’un peu R.E.M. Mais le résultat reste d’une authenticité inégalée. Ce sont ces rares moments de grâce dans la carrière d’un artiste où tout fonctionne pour lui, où la fusion avec ce que son public attend de lui fonctionne. Encore de nos jours, on peut le remercier de nous avoir permis de l’accompagner dans ses moments plus noirs.

Mais une fois l’album sorti, les millions de copies vendues et les tournées lucratives, la mission de Corgan n’est toujours pas terminée. Il regarde déjà en avant et voit plus grand que jamais. Un album double, son propre The Wall. Sans surprise, son public est prêt. Les choses vont déraper, il y aura mort d’homme. Mais le show va continuer.

Rien n’arrête un homme en mission.

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