Chroniques

Sufjan Stevens

Illinoise

Sufjan StevensJe me souviens encore de ma première rencontre avec Sufjan Stevens. C’était en 2010, peu de temps après la sortie de The Age Of Adz. À l’époque, j’habitais avec mon bon ami Pat et celui-ci avait commencé à écouter ça dans l’appartement. Un soir, pendant une partie d’échecs, un de nos rituels quasi quotidiens, pendant lequel nous choisissions chacun notre tour de la musique, il a sélectionné cet album. Celui-ci s’est terminé plusieurs minutes après la fin de la partie, mais nous étions toujours sur le divan à écouter la voix douce et mélancolique de Stevens. C’est le moment où Stevens a gagné mon cœur. C’est encore très limpide et le sentiment ne s’est jamais étiolé par la suite. Au contraire, plus j’apprenais à le connaître, plus mon respect, mon amour et ma connexion avec son art grandissaient.

Illinoise, qui fête ses dix ans d’existence, est entré beaucoup plus tard dans ma vie. Alors qu’il était présent sur mon disque dur depuis au moins trois ans, j’y ai posé les oreilles sérieusement pour la première fois au printemps 2014. Un moment qui précédait plusieurs grands changements dont je vous épargnerai les détails. Je me souviens très bien du moment où les premiers accords de Concerning The UFO Sighting Near Highland, Illinois ont frappé mes tympans. Je me souviens du sentiment de réconfort qui m’a envahi alors que les accords répétés tintaient dans l’appartement. J’étais seul et il faisait nuit à l’extérieur. Je me souviens aussi que de chaudes larmes ont rigolé le long de mes joues.

Ma relation avec Sufjan Stevens en est une d’intimité. C’est le genre de musique que j’écoute seul lorsque je me sens «full sentimental» ou lorsque le monde extérieur semble complètement étranger. La musique de Stevens est faite sur mesure pour l’introspection avec ses paroles sensibles qui traduisent les questionnements existentiels qui assaillent pas mal tout le monde à un moment ou un autre. Chicago est sans doute la pièce qui représente le mieux ce sentiment de confort par mimétisme. Alors que le désir de m’installer dans la Grosse Pomme m’assaillait, le couplet: «I drove to New York/In a van with my friends/We slept in parking lots/I don’t mind, I don’t mind/I was in love with the place/In my mind, in my mind/I made a lot of mistakes/In my mind, In my mind» me plantait sa pique dans la patate comme la pointe d’un mousquet sur les plaines d’Abraham. Des images de nuit passées dans un bar de Williamsburgh avec des amis remontent immédiatement, tout comme ce sentiment d’insouciance, de bonheur et de possibilité que je ressentais à l’époque.

C’est sur Illinoise que le côté baroque de The Age of Adz est né. L’orchestration magnifique des pièces inspire la grandeur d’âme et captive par son magnétisme magique. The Tallest Man, The Broadest Shoulders: Part I: The Great Frontier/Part II: Come to Me Only With Playthings Now est un excellent exemple de la capacité de l’artiste à orchestrer magnifiquement ses mélodies. Illinoise est le résultat d’un long processus d’enregistrement que Stevens a fait par lui-même. La plupart des instruments qui sont présents sur la galette ont été joués par ses propres mains… mais cela ne veut pas dire que d’autres musiciens n’ont pas mis la main à la pâte. James McAllister, qui est toujours le batteur de Sufjan Stevens en studio et en tournée, a fait ses débuts sur l’album. On compte aussi l’apport des cordes de Rob Moose qui pour une somme totale de cent dollars a habillé Chicago et They Are Night Zombies!! They Are Neighbours!! They Have Come Back from the Dead! Ahhhh!

Illinoise est un peu le perfectionnement de la recherche musicale que Sufjan Stevens avait entamée sur les opus précédents, que ce soit Michigan ou encore le très folk Seven Swans. Certaines pièces rappellent ce dernier tel que la douce et poignante John Wayne Gacy Jr. ou encore Casimir Pulaski Day. Stevens est particulièrement efficace lorsqu’il nous glisse tout doucement les mélodies à l’oreille en toute simplicité, un peu comme un Elliott Smith par exemple. Ce qui apparaît clair aujourd’hui, lorsqu’on regarde avec du recul l’importance de Sufjan Stevens en tant qu’auteur-compositeur, c’est sa capacité à chercher ailleurs, à expérimenter tout en demeurant criant d’honnêteté.

Je pourrais vous parler de chacune des pièces et vous décrire la myriade d’émotions qu’elle évoque chez moi, mais je préfère vous encourager à plonger tête première dans ce petit bijou qu’est Illinoise. Vous avez devant vous plusieurs heures de purs délices auditifs.

http://music.sufjan.com/

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