Chroniques

Stéphanie Boulay | Entrevue : confiance et confidences

Le 15 juin aux Francos de Montréal, Stéphanie Boulay présentera sur scène les pièces d’Est-ce que quelqu’un me voit?, son deuxième album solo. Je l’ai rencontré dans un café montréalais pour discuter de la sortie, des pièces qui peuplent l’album et de la vie comme artiste solo.

L’œil vif, le cœur ouvert et le sourire aux lèvres, c’est ainsi que Stéphanie Boulay s’est présentée devant moi dans un café du Plateau. Celle qui propose des pièces qui ont tendance à plonger dans des événements plus tristes ou traumatisants est, au contraire, plutôt hop la vie dans le quotidien. S’il y a une chose qui transparaît à l’écoute d’Est-ce que quelqu’un me voit?, qui est paru en avril, est la confiance de Stéphanie Boulay. L’autrice-compositrice-interprète se permet d’aborder un côté plus pop radiophonique qui est absent du duo avec sa sœur Mélanie. Ce n’est pas juste une question de direction musicale. Elle avoue elle-même : « Mon album en 2018, je l’ai sorti et je me suis quasiment excusée de le sortir. J’ai fait trois shows. J’ai refusé toutes les autres affaires, je me disais que c’est impossible que je fasse une grosse scène. »

Il faut dire qu’à la sortie de son premier album solo, elle savait aussi que de nouvelles chansons étaient prêtes avec Les Sœurs Boulay. Elle a décidé de se concentrer sur le projet familial parce que c’était plus sécurisant en quelque sorte. « Je pensais que je le faisais par choix sur le coup, mais avec le recul, je ne le faisais pas par choix, je le faisais par peur. » C’est certainement ce qui est la grande différence avec ce deuxième tour de piste en solo.

Le dévoilement par la pratique artistique

Quand on plonge dans le matériel de son dernier album et le sentiment autobiographique qui s’en dégage, Stéphanie Boulay cite le rapport 3,2,1…Action de Vanessa Blais-Tremblay et Joëlle Bissonnette, qui se sont penchées sur les violences sexuelles faites dans le milieu culturel. Une section creuse le processus créatif comme moyen de faire la paix avec des événements malheureux ou traumatisants.

C’est à travers ce genre de processus que Stéphanie Boulay est engagée, même si elle assure que les chansons ne sont jamais une seule histoire. Ainsi, La mauvaise question ne vise pas un individu, mais ramasse quelques histoires qui partageaient des points communs qui sont par la suite romancés par l’autrice-compositrice-interprète. Ça demeure qu’il y a un sentiment de diss track qui en ressort. Les propos sont durs, même lorsqu’ils sont chantés avec douceur par Stéphanie Boulay. « Si t’as laissé une trâlée dans ta vie, qui fait en sorte que quelqu’un qui entend une toune chienne, pense à toi, ce n’est pas de la faute de la toune. »

Des sujets difficiles, du courage de les chanter

Parmi les pièces qui creusent des problématiques contemporaines, Ces photos de moi est peut-être celle qui frappe le plus fort. À cette époque marquée par la pornographie vengeresse et la faible réaction des grandes plateformes xxx contre celle-ci (voir ce reportage d’Enquête). La pièce inspirée de la pièce Body de Julia Jacklin, évoque la peur de photos intimes qui sont dans les mains des mauvaises personnes. À cette époque où un cliché peut voyager à la vitesse grand V, c’est un problème grandissant qui touche bien des personnes. Pour Stéphanie Boulay, la situation qui a inspiré celle-ci est encore plus fâchante. « C’est comme une épée de Damoclès. Mais moi, en plus, ce n’est même pas des photos que j’ai envoyées à quelqu’un, ce sont des photos de quelqu’un a volées sur un cloud. » Dans une histoire absolument fâchante, elle explique qu’il y a eu un processus judiciaire derrière le tout et que c’est rentré dans l’ordre. Mais toute de même. Il n’y a pas qu’aux États-Unis où ça arrive.

Stéphanie Boulay n’hésite pas non plus à plonger dans les situations familiales difficiles. Elle l’avait fait avec les Sœurs Boulay avec la pièce Comme si. Dans une entrevue avec Élise Jetté dans Le Devoir, elle expliquait que les modèles masculins avaient souvent échoué. Elle en parle à nouveau dans La nuit dure depuis trop longtemps :

Si j’avais eu un père qui m’avait pas cassée
J’aurais tu appris à partager de l’amour
De la douceur, du temps et de la légèreté
C’tu sa faute ou la mienne si je m’haïs pour toujours?

Partir en solo pour vrai cette fois-ci

Si, pour le premier album, Stéphanie Boulay n’a pas fait tout le cycle habituel d’un album, cette fois-ci, elle y va à fond. Cela lui permet aussi de vivre une réalité différente d’avec son duo familial. Il faut dire que Les Sœurs Boulay sont un succès franc au Québec. Partout où elles passent, elles remplissent des salles. En solo, ce n’est plus la même réalité. Elle sent qu’il reste des portes à ouvrir et du millage à faire pour gagner des oreilles. Par contre, elle n’est pas prête à tout faire. Elle a l’expérience et la sagesse de savoir qu’il ne faut pas dire oui à des conditions qu’on juge inacceptables.

Prochainement, Stéphanie Boulay a plusieurs concerts qui lui feront voir du pays. Puis, cet automne, elle fera aussi de la route pour aller présenter les pièces d’Est-ce que quelqu’un me voit.

La richesse de la relation avec Mélanie Boulay

Il y a autre chose aussi qu’on oublie parfois. Avant Les Sœurs Boulay, il y avait Stéphanie et Mélanie Boulay, chacune de leur côté, qui multipliait les concerts en solo. « On grindait et ça ne fonctionnait pas. C’est ça qui a fait qu’on a fait Les Sœurs Boulay. Dès qu’on a fait un truc ensemble, ce n’était comme plus pantoute la même affaire et ç’a explosé! On s’est dit : OK, mais c’est ça qu’il faut qu’on fasse. […] Ça faisait trois, quatre ans que j’avais fini l’école et que je n’avais pas d’argent et que ça ne marchait pas. Je ne pouvais pas vivre comme ça toute ma vie. »

Une relation qui, comme toutes celles qui durent dans le temps, est complexe et riche. La chanson Est-ce que quelqu’un me voit aurait pu être mal reçue. Mais Mélanie Boulay a été entièrement dans l’accueil : « Elle m’a toujours accueillie. Genre, toi, tu le sens comme ça, mais c’est legit, ça existe. » Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu des moments plus difficiles. Comme en 2023 quand elles ont décidé qu’elles allaient éventuellement prendre une pause. Elles ont même fait une thérapie pour ramener les choses à l’ordre. Il faut dire que la proximité en étant dans le même projet musical, c’est déjà beaucoup et ça devient encore plus intense quand c’est de la famille. Mais depuis, le bonheur est plus présent que jamais : « On a décidé de prendre la pause et à partir du moment où on a décidé de ça, notre relation a embelli. Toute la tournée qu’on a faite après, on était vraiment dans une bonne vibe. Il y a quelque chose du fait qu’on savait qu’on allait se splitter pour faire nos affaires qui nous a comme apaisées. Je pense qu’on avait besoin de faire ça depuis vraiment longtemps, qu’on ne le faisait pas. Parce qu’on voulait surfer une vague, puis gagner notre vie. »

Pour découvrir, les chansons d’Est-ce que quelqu’un me voit?, ça se passe à 18h à la Scène Loto-Québec le dimanche 15 juin. Pour toutes les infos.

Pour le reste de la tournée

Pour écouter l’album.

*Cet article a été écrit en collaboration avec Simone Records

Crédit photo: Simone Records

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